L’imaginaire. 

 

 

Définition  

 

Il faut dans cette introduction tenter de définir le plus précisément possible ce qu’est l’imaginaire.  

Voici ce qu’en dit le Larousse?: 

  • 1.?Faculté de l'esprit d'évoquer, sous forme d'images mentales, des objets ou des faits connus par une perception, une expérience antérieures?: un événement qui demeure très vif dans l'imagination. 

  • 2.?Fonction par laquelle l'esprit voit, se représente, sous une forme sensible, concrète, des êtres, des choses, des situations dont il n'a pas eu une expérience directe?: Un récit qui frappe l'imagination. 

  • 3.?Capacité d'élaborer des images et des conceptions nouvelles, de trouver des solutions originales à des problèmes?: Manquer d'imagination. Synonymes : 
    fantaisie - invention 

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    Le Littré et le Robert, à quelques nuances près, posent les mêmes définitions. Un même mot désigne ainsi deux concepts?: la représentation interne d’un objet externe, puis la liberté que prend cette capacité de représentation vis-à-vis du réel d’inventer des formes nouvelles. On voit que les deux sens du mot sont intrinsèquement liés?: à partir du moment où on s’imagine un éléphant, ainsi qu’un magasin de porcelaine, la déliaison de ces représentations d’avec le réel permet ensuite de les «?inventer?» l’un dans l’autre, ce que ne permet pas le rapport à la réalité purement instinctuel, sans représentations libres. La pensée, humaine et animale, est possible grâce à ce mécanisme mémoriel, ainsi que le rêve. Elle n’a, de ce point de vue, pas un besoin absolu de symbolique. 

    Nous allons ici rassembler cela en un point central?: l’imaginaire est la capacité propre à l’appareil psychique de créer un avatar, une représentation du monde réel dans son lien le plus étroit avec l’organisme, ses besoins, ses désirs, son être. L’imaginaire est donc une chimère, mi être mi monde, interface entre les deux. 

     

    Imaginaire et langage?: lieu de la demande névrotique. 

     

    Mais il se trouve aussi que sans ce symbolique, l’appareil psychique n’a pas sans doute besoin non plus de névrose?: le débat sur la névrose animale est à mon avis bien clôturé par Lucien Brunelle15?: Or, la différence entre les deux types pathologiques s'établit clairement entre le silence de la névrose animale et le discours de la névrose humaine. Ne pas perdre de vue cette leçon conduit facilement à déclarer que la distance est par nature infranchissable. Parce qu'elle est une histoire qui se raconte, la conscience malade est également son projet. 

     

     

     

     

    La névrose animale?? 

     

    Les travaux sur la névrose animale, inaugurés par Konrad Lorenz, portent tous, à ma connaissance, sur des modèles de stimulis paradoxaux qui anéantissent les possibilités adaptatives de l’animal, le désorganisant plus ou moins gravement, comme chauffe un appareil dont les entrées ne correspondent pas à ses capacités, alors que la névrose humaine est un produit de l’imagination se traduisant dans une demande verbale. C’est bien le lien entre l’imagination et les mots qui est là en question. Autrement dit, c’est l’impasse du désir qui crée une demande adressée à l’autre chez l’homme. Lacan a largement théorisé le chemin inverse qu’est la cure dans la névrose?: repasser de la demande (imaginaire, de soin, de guérison) au désir (réel, d’énergie créative singulière sans fin d’être soi parmi, avec et parfois contre les autres). Il a cependant peu travaillé la place de l’image du corps dans ce processus, ce qui est sans doute ici à reprendre. 

     

    Lorsqu’elle est essentiellement liée à l’instinctuel, ni névrose psychose ou perversion?: lorsqu’une impasse survient pour l’animal, une recherche plus ou moins efficace se met en place à l’aide de ces deux plans, instinctuels et imaginaires, mais pas d’adresse à l’autre pour autant, malgré une désorganisation pouvant conduire parfois jusqu’à la mort… Le célèbre âne de Buridan16 meure de ne pas interroger, d’une juste ruade, son douteux expérimentateur?! 

    Une expérience contestable sur le plan du bien-être animal,´mais parlante sur cette fonction de l’imaginaire chez l’animal, a été faite avec des souris17. Si on les met dans un bac et qu’on les laisse nager, elles s’épuisent beaucoup plus vite que si elles ont expérimenté une première baignade dont on les a sauvées au préalable. Mais en aucun cas bien sûr elles n’appellent au secours. Dans la suite de cette expérience, des tests de résistance à la nage ont été conçu pour tester l’efficacité des antidépresseurs chez ces rongeurs, dont semble-t-il aucun n’a montré sa pertinence chez l’homme. Ils ont été interdit récemment. 

     

    Au fond, l’imaginaire est bien une conséquence directe de la mémoire, ce qui explique les capacités adaptatives animales et végétales. Il est donc probablement présent chez tous les êtres vivants comme en témoigne d’ailleurs cette étude chez les paramécies18?: Quand des paramécies sont d'une manière répétée enfermées dans un tube de verre placé verticalement avec son ouverture en bas dans un aquarium et suffisamment large pour leur permettre de se retourner librement, le temps moyen qu'elles mettent à s'en échapper décroît avec la suite des épreuves. Cette modification du comportement n'est pas reliée à un accroissement de l'activité générale. Il faut la concevoir comme un cas d'apprentissage par essais et erreurs. 

    L’imaginaire est ainsi l’alliance des forces instinctuelles et de la mémoire autorisant l’apprentissage propre au monde biologique. Il est de ce point de vue la représentation interne d’une expérience du vivant, permettant la mise en œuvre de choix de vie, et donc probablement présent dès les protozoaires, animaux unicellulaires, comme on vient de le voir?! De ce point de vue, le blob n’est pas le seul être unicellulaire à être «?intelligent?». 

     

    La remarque de Lucien Brunelle est donc fort pertinente et définit bien notre domaine précis de travail, à savoir le complexe lien entre l’imaginaire et le langage. Il est dommage que l’étude des cétacés ne soit pas suffisamment avancée pour vérifier la possibilité chez ces animaux d’un domaine proprement névrotique aussi, étant donné la présence d’un langage évolué chez eux aussi. Langue et instinct étant par nature toujours partiellement conflictuels, comme nous ne cesserons de le voir dans la suite de ce travail, ce serait de ce point de vue logique… Ainsi, en discutant de ce problème avec Éric Demay19