L’impasse imaginaire chez les philosophes. 

 

La philosophie, inventée par Socrate, fut la seconde tentative, après la religion, d’explication et de guide du destin humain. Comme cette dernière, elle eut, en constante concurrence avec elle, à tenter de mettre où remettre le sujet dans le droit chemin de la dialectique de son existence personnelle et sociale.  

La troisième tentative notable fut la révolution scientifique inaugurée au siècle des lumières et dont nous assistons actuellement à l’épuisement, en particulier avec l’échec notable des «?neurosciences?» quant au domaine du trouble psychique, si on excepte les progrès des psychotropes dans les troubles aigus. Mais leur efficacité n’est pas du tout aussi assurée dans le moyen et long terme. La généralisation de ce modèle est sans doute co-responsable des difficultés importantes du secteur médico-social. 

Ces trois approches, convoquant l’imaginaire soit pour expliquer, la religion, soit pour en limiter les effets, la philosophie, ou enfin pour en vérifier la pertinence, la science, sont en fait adaptatives. 

 

La quatrième révolution fut celle de la psychanalyse, le seul corpus qui mette l’hétérologue articulation entre imaginaire et symbolique au cœur du désir singulier inconscient de l’humain. C’est donc la seule théorie de l’imaginaire qui ne soit pas adaptative, du moins en France, grâce au travail de Lacan… 

Son reflux actuel au niveau des politiques publiques et des institutions de soin n’est pas pour rien dans le problème de santé publique très lourd que nous traversons actuellement. Qu’elle ait besoin de se réinventer est bien clair, après les quelques dérives quasi sectaires qui ont ralenti son développement, mais là, on a jeté le bébé avec l’eau du bain?! 

 

Bien souvent, quand le chemin semble se bloquer ainsi, la tentation devient régressive. 

C’est ainsi que resurgissent les recours religieux et philosophiques. Nous ne traiterons pas  ici du premier, dans la mesure où il n’a pas vraiment de souci thérapeutique. Ce n’est pas le cas du second, puisque foisonnent les propositions de soulagement psychique par la pratique de telle ou telle sagesse ou méditation philosophique. Livres et coachs se disputent ainsi le marché du bonheur. Je renvoie au beau travail de Philippe Monge22, non encore publié, qu’il a eu la gentillesse de m’envoyer, et dans lequel il met en parallèle cette mode avec la période de mise en exergue du moi dans la psychanalyse américaine, point d’appui de la critique de Lacan pour développer en opposition son concept plus libre de sujet. 

Ainsi nous assistons actuellement à de nombreuses offres de coaching philosophique, que ce soit au niveau des personnes ou des firmes. Le problème est que l’image inconsciente du corps, au centre de la complexité du symptôme, est par définition absente de ces approches, toutes essentiellement surmoïques, c’est-à-dire basées sur un savoir sur l’autre, sur un mimétisme… Qu’elles génèrent énormément de dépression est dès lors logique, ce qui se constate dans ce qui m’est rapporté, et est conforme aux observations de Freud sur le mécanisme de la mélancolie.  

Ces approches confondent en réalité le spéculaire avec l’imaginaire?! Les conséquences peuvent en être sérieuses, tant le premier est du côté de l’aliénation, alors que le second du versant de la liberté inventive. Le maître à penser de ce mouvement que m’a fait découvrir Philippe Monge est un proffesseur de tennis qui montre ainsi ses propres gestes pour que ses élèves se les approprient, dans le même mouvement qui faisaient penser aux analystes américains de la même époque que la guérison de leurs patients dépendait de ce qu’ils s’identifient spéculairement à la partie saine du moi de leur analyste?! 

 

En réalité, seule la psychanalyse se situe comme une tentative de garder, dans son effort thérapeutique, le paradoxe central de l’humain, à savoir l’effort de rester soi avec et malgré la réduction symbolique et les autres, ce qui fonde l’énergie de son désir. Elle n’est donc pas essentiellement adaptative, contrairement à tous les autres courants soignants, y compris ce qu’on appelle le coaching. 

 

Que dit donc au juste la philosophie de l’imaginaire?? Son discours est général et conceptuel, comme il est bien normal pour une approche qui se veut rationnelle. Le problème est que cela parait de ce fait même voué à l’échec quant au complexe symptôme, et surtout à l’imaginaire lui-même, comme le décrit joliment Kafka dans le seul texte où il parle de philosophie23?:    

 

Un philosophe promenait toujours ses pas là où des enfants étaient en train de jouer. Et quand il voyait un jeune garçon qui avait une toupie, il était aux aguets. Et, dès que la toupie se mettait à tourner, le philosophe courait derrière elle pour l’attraper. Il faisait peu de cas des cris que poussaient les enfants qui essayaient de l’éloigner de leur jouet?; s’il pouvait attraper la toupie pendant qu’elle tournait, il était heureux?; mais cela ne durait qu’un instant, il la rejetait ensuite sur le sol et s’en allait. Il croyait en effet que la connaissance d’une chose aussi mineure que, par exemple, la rotation d’une toupie, suffisait pour la connaissance du général. C’est pourquoi il ne s’occupait jamais des grands problèmes, cela lui paraissait une méthode peu économique. Si l’on parvenait à comprendre vraiment l’objet le plus minime, on connaissait le tout?; c’est la raison pour laquelle il s’occupait exclusivement de la rotation de la toupie. Et chaque fois qu’il voyait qu’on s’apprêtait à mettre une toupie en marche, il avait l’espoir d’aboutir enfin?; et, quand la toupie se mettait à tourner, son espoir se changeait en certitude, aussi longtemps qu’il courait hors d’haleine derrière elle?; mais quand il tenait dans sa main le ridicule morceau de bois, il se sentait pris de nausée?; les cris des enfants, qu’il n’avait pas entendus jusqu’alors et qui lui déchiraient soudain les oreilles, lui faisaient prendre la fuite?; il titubait comme une toupie sous un fouet maladroit. 

 

Comment mieux dire que la philosophie est trop prisonnière de sa rationalité même pour vraiment rendre compte du profond et paradoxal jeu humain. Il est curieux de constater que le résultat de la démarche du philosophe de Kafka rejoint l’aboutissement de l’existentialisme de Sartre dans le célèbre passage de la racine aperçu simplement telle qu’en elle-même, c’est-à-dire en fait débarrassée de tout plan imaginaire?: une nausée. Souvenons-nous que le mal de mer est lié au fait que les références visuelles ne sont plus en rapport avec le mouvement réel et complexe du monde marin alentour. Si on prend la structure du voilier pour unique référence, comme la toupie décrite plus haut, le contexte naturel prend sa revanche sous forme de nausée?! 

 

Méfions-nous donc d’une logique trop fermée, fut-elle philosophique, Nietzsche, philosophe atypique s’il en est, nous le rappelle indirectement24: L'ILLOGIQUE NÉCESSAIRE. - Entre les choses qui peuvent porter un penseur au désespoir, il faut compter le fait de reconnaître que l'illogique est nécessaire aux hommes et que de l'illogique prend naissance beaucoup de bien. Il est si solidement ancré dans les passions, dans le langage, dans l'art, dans la religion, et généralement dans tout ce qui prête du prix à la vie, que l'on ne peut l'en retirer sans porter ainsi à ces belles choses un incurable préjudice. Seuls des hommes par trop naïfs peuvent croire que la nature de l'homme puisse être changée en une nature purement logique ; mais s'il devait y avoir des degrés d'approche vers le but, quelles pertes ne ferait-on pas sur ce chemin ! Même l'homme le plus raisonnable a besoin de temps en temps de retourner à la nature, c'est-à-dire à sa relation fondamentale illogique avec toutes choses. 

 

Attention, il ne s’agit ici de soutenir l’inutilité de la philosophie en général, bien au contraire, puisque c’est une irremplaçable école de dialogue avec soi, l’autre, la société, la nature. Contrairement à la religion, qui a vocation à représenter un corpus universel à telle ou telle société, plus ou moins commentable selon les formes qu’elle prend, la philosophie a cependant le mérite de recentrer sur une certaine acception du sujet, puisqu’elle est toujours, in fine, la philosophie de quelqu’un?! Mais cette approche est insuffisante, comme Kafka nous le rappelle, pour aborder la complexité tant du jeu imaginaire des enfants que des symptômes des adultes. Car que si c’est toujours bien une philosophie singulière, elle se veut aussi valable pour les autres, ce qui est sa limite normative. 

 

Après cette introduction qui a pour but de situer notre propos, entrons précisément dans le cœur de notre sujet. Nous commencerons par les approches structurales. 

 

L’imaginaire et les limites de la philosophie structuraliste?: Heidegger et Lacan, ou la revanche de l’imaginaire et du corps sur les excès des théorisations exagérément symboliques. 

 

Le premier est le grand inspirateur du second, les deux diluant la notion du moi conscient avec ce qui le surdétermine, l’être pour le premier, sorte de Dieu spinozien englobant le monde, mais hélas le limitant en fait au folklore de la forêt bavaroise, avec les dérives xénophobes et racistes qu’on connaît25, (je renvoie à ce sujet au très beau travail de Guillaume Payen cité en note) le second avec la dimension de l’inconscient, largement assimilée au langage26, les deux poursuivant le constat de Freud que dès lors l’homme n’est plus le maître dans sa propre maison. Derrière la conscience, pour les deux opère un autre plan qui la structure, la surdétermine. Au fond, l’existence même de l’inconscient, qui n’est pas dénomm




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