Michel S Levy mslevy@laposte.net Merci de vos critiques et remarques
INTRODUCTION A UNE CLINIQUE SEXUEE à propos des chapitres masculin et féminin.
On peut définir la psychanalyse comme un retour au corps et à ses affects… En effet, au fur et à mesure de l'éducation et de l'entrée de l'homme dans le langage, les buts de la vie s'infléchissent de l'instinctuel au pulsionnel et du pulsionnel au désir. Ce faisant ils avancent vers une altérité et un monde familial social et culturel fait de fantasmes et d'idéaux qui presque toujours éloignent l'homme de son corps. La limite continuellement remaniée du corps et de ses affects entre soi et les autres est ce qui permet de recentrer le trajet d'une psychanalyse sur une authenticité du sujet qui ne peut guère se trouver qu'en cet endroit, au cœur même de cette division, fondement même du langage.
Qui dit corps dit limites et les différences sexuelles sautent aux yeux pour les représenter. Le long travail d'acceptation d'une castration possible pour le sujet, qui définit une psychanalyse, passe nécessairement par le détail de sa réalité physique et corporelle, de sorte qu'il puisse revenir au plus près de lui-même.
Le corps est en final ce qui fait accord avec le réel, disait Lacan. La redécouverte de son propre corps, sa réappropriation au moins partielle sont des enjeux majeurs de la psychanalyse.
Aussi être attentif à la question du sujet à travers l'exploration des limites sexuelles est une façon fondamentale de travailler dans le champ de la castration. Sil n'y a pas un sujet de la psychanalyse, c’est qu’il y a autant de sujets que de patients : le retour souhaitable à la singularité de chacun passe par la question de l’harmonie minimale entre la singularité du corps et l’univers de la parole. Etre simplement soi, en acceptant ses limites physiques et psychiques, c'est entrer dans une humanité de partage, qui se sait divisée, parlante.
C'est sans doute pour cela que cette affaire est tellement débattue transgressée voire violentée actuellement puisque à l'opposé de la subjectivité limitée et connaissant ses propres bornes se situe l'individu tout puissant dans ses besoins égoïstes et individualistes actuels. Le franchissement de la barrière du sexe est un des enjeux d'un consumérisme dont on sait qu'il fonctionne sans limite dans le modèle néo-libéral, promoteur d’une jouissance déchaînée, ou il n’est plus question de sujet, mais de faire croire qu’on peut répondre au manque et à la frustration.
L'acceptation de son propre sexe est au contraire une façon d'assumer la limite de l'action humaine, une manière de faire à l'autre la place qui lui revient, fondamentalement différente voire incompréhensible. Ce hiatus laisse alors la part belle à un dialogue constructif.
Psychanalyse unisexe ?
On comprend alors que la psychanalyse serait incomplète à ne s'intéresser qu'aux points communs entre les êtres humains. Ils sont évidemment forts nombreux et concernent des aspects centraux comme l'accès au langage, le décalage qui s'ensuit entre un monde pulsionnel d'un côté et un monde de désir qui va s'inscrire culturellement, de l’autre. La division du sujet ainsi constituée est liée au fait que le signifiant ne pourra le représenter que pour une cascade d'autres signifiants d'où il ne pourra pas ressortir définitivement représenté. Tout cela est vrai et appartient aux deux sexes. Dès que l’homme parle, il est aussi parlé, pris ainsi dans un mouvement qui ne cesse la vie durant…. Mais si chacun est nécessairement singulier, personne ne peut donc être représenté symboliquement : le sujet n’est ni partageable, ni communicable… Les grecs avaient compris cela, eux pour qui la personne, qui est le signe d’un sujet lambda, était un masque, une forme vide. Souvenons-nous d’Hugo Von Hofmannsthal, célèbre à 19 ans pour ses poésies, dans la Vienne des Habsbourg, et qui répond à un journaliste ce que lui évoque le fait que son nom soit célèbre, connu de tous : c’est un malentendu, assène-t-il…
En réaction à cela, que le désir de toute puissance soit une illusion à la fois productrice de fantasmes et dans le même temps largement pourvoyeuse de catastrophe, tout cela est vrai aussi et l'est pour les deux sexes.
Mais cela n'est pas suffisant à mon avis dans la technique de la psychanalyse ou de la psychothérapie. En effet, un élément est alors oublié : la fonction du dialogue, ce que Freud appelait la fonction de reconstruction. En effet, même s'il est très asymétrique, même si les interventions de l'analyste sont très rares, même s'il n'attend ou n'espère pas de réponse immédiate, on pourrait même dire surtout pas, il n'empêche qu'il s'agit fondamentalement de mots qui s'expriment à la rencontre d'autres mots et qui vont ainsi créer les logiques subjectives originales propres à chaque analyse. Cet aspect de construction dans l'analyse est présent dès que l'analyste émet le moindre mot, encore une fois même s'ils sont rares, et implique qu'on le veuille ou non la subjectivité des deux interlocuteurs. Cette reconstruction du désir d'un sujet est l’objet même de la psychanalyse. Il me semble alors que plus l'analyste sera attentif, présent aux particularités singulières de son patient, plus cette reconstruction sera facilitée ou même tout simplement possible, participant ainsi au succès de l'analyse. L'analyse passera alors par le détail de l'intime du sujet, dans une reconstruction corporelle singulière qui n'aura lieu que si elle est entendue comme fondamentale par le psychanalyste, qu'il choisisse de taire ou dire ce qu'il a à effectuer dans cette psychanalyse.
Aussi les deux chapitres qui vont suivre ont-ils comme visée de réfléchir, de penser cette différence sexuelle dans le concret des analyses singulières d'hommes et de femmes. Il s’agit de réfléchir aux différents chemins que la subjectivité emprunte selon qu'elle est portée par l'un ou l'autre sexe.
Œdipe et différences sexuelles
Je ne pense pas que le complexe d'Œdipe, dans sa description freudienne, soit universel en psychanalyse, en tout cas à notre époque. Ce qui est universel, c'est la réduction de la toute puissance instinctuelle, qui amène ensuite à une place culturelle. C’est bien pour cela que l’inceste intergénérationnel est une constante anthropologique, que même M. Godelier, dont on va vous parler plus tard, ne remet pas en question…
L'enjeu majeur qui concerne tout humain au départ de sa vie, et souvent plus tard est soit de posséder l'autre dans une confusion violente, kleinienne soit de construire avec lui, ce qu’a bien décrit Winnicot. Dans ce processus d'éducation, père et mère sont au même niveau, en fait de rester chacun à sa place : s'ils arrivent à faire passer ce message de construction commune à l'enfant, à travers le plaisir d’une vie de couple, ce dernier verra alors dans l'alliance avec l'autre un plus grand bénéfice que dans la poursuite de son objectif personnel, et son organisation deviendra possible ; s'ils y échouent, les impasses psychopathologiques ne manqueront pas de se faire jour. On voit que dans ce schéma, il n’est pas d’auto organisation sans l’autre…
Bien entendu lorsqu'un homme ou une femme parvient à inscrire son enfant dans un intérêt culturel, dans un intérêt pour l'autre, la place de l'autre sexe y viendra naturellement, puisqu’elle y est déjà. L’autre est fondamentalement l’autre sexe, puisque toute l’organisation sociale est bâtie autour des différentiations sexuées depuis toujours, sauf peut-être dans la tentative de jouissance toute puissante de notre époque. La socialisation est d’ailleurs, dans l’ordre du vivant, une conséquence de la sexualité, puisqu’elle n’existe pas chez les organismes non sexués… S’il y a du sexe, il faut bien se rencontrer, et pour se faire, il faut des règles, instinctuelles ou sociales….
Mieux vaut donc que les deux parents s'y mettent pour que l'enfant puisse circuler le mieux possible entre ces vérités partielles que représente chacun d'entre eux. La figure classique du complexe d'Œdipe tel qu'il est décrit en psychanalyse concerne en fait des situations déjà problématiques où l'enfant a à lutter contre une alliance toute puissante avec l'un des deux parents, en raison de problèmes de couple, de difficultés psychiques chez les parents. Ils induisent alors une trop grande résonance avec la toute puissance de l'enfant.
Lorsque cette disposition n'existe pas, je n'ai pas constaté de fantasme ou de problématique Oedipienne chez les patients. Il faut noter d'ailleurs que les quelques études qui ont été faites pour retrouver l'universalité du complexe d'Œdipe, y compris dans nos sociétés occidentales, n'ont pas été couronnées de succès à ce que j'en sais. Mais heureusement, ce n'est, de mon point de vue, pas celui-ci qui est la base de la psychanalyse mais la réduction de la toute puissance de l'objet au profit d’une relation de construction et de remaniement psychique qui devient investie à sa place : le transfert. Bien au contraire, l'autre existe à ce moment là dans son intégrité et sa diversité et donc dans sa sexualité limitée et articulée à l’autre. Les identifications peuvent alors se mettrent en place, nombreuses pour chacun : être un homme face à un autre homme n’est pas du même registre qu’être un homme face à une femme, et réciproquement pour une femme. Sans compter les logiques subjectives qui se nouent avec les grands-parents, les frères et sœurs, les collègues de classe, etc.. La manière dont toutes ces logiques subjectives s’articulent entre elles, se parlent, créent le rapport sexuel, qui, tant pis pour Lacan, existe bien à cette place. Il est bien plus riche pour la compréhension de nos patients de raisonner en termes de processus identificatoires articulés entre eux, plutôt que de projeter dès que possible un Œdipe qui n’existe souvent que dans l’imagination de l’analyste, et vient compliquer et troubler la cure.
C'est ainsi que l'homme et la femme ne sont pas simplement régis par les modalités différentes du complexe d'Œdipe articulées autour du phallus, mais aussi par la foule de fonctionnements différents du corps de chacun dans ses rencontres avec les autres. Il ne suffit pas de dire qu’elle est sans l’avoir et qu’il n’est pas sans l’avoir, comme disait Lacan. La question du primat du pénis est clairement réduite anthropologiquement à un environnement viennois de la fin du 19° siècle, lié au statut de la femme à cette époque.
Reste donc qu’être un homme n'est pas la même chose qu'être une femme ni dans le trajet culturel ni dans l’aventure physique par rapport aux autres, ni dans l’équipement biologique et hormonal. Il n’y a pas lieu, comme on le fait souvent, comme par exemple dans les travaux d’E. Badinter, d’opposer différences biologiques et culturelles : les deux existent nombreuses, infinies même dans leurs diversités, et fondent enfin la subjectivité humaine.
On comprend aussi que ce qui est soutenu ici n’est certainement pas l’égalité des hommes et des femmes, bien au contraire… Ce chemin ne mène à rien d’autre qu’une représentation publicitaire et marchande effrénée, chacun cherchant alors à exister par la consommation de biens qui camouffle une vacuité subjective, qui reste, elle, bien douloureusement singulière. La singularité ne se représente pas, elle s’entend, se constate, est vivante et mobile, souvent rebelle, sous le masque des représentations qui l’étouffent souvent. Le communautarisme, sexuel, ethnique ou même national, qui est une tentative d’existence représentée, est de ce point de vue une impasse prévisible.
Tout ceci peut s'entendre dans une écoute attentive du discours de nos patients. Mais existe-t-elle sans qu'elle ne soit soumise à la projection par le psychanalyste de ses théories et de ses idéologies ? Il est probablement illusoire de le penser, même si l'éthique de l'analyste est d'essayer, en le sachant, de limiter au maximum cet effet. A cette restriction près, il m'a semblé que l'écoute très attentive des structures psychiques de mes patients ne permettait justement pas de valider l'idée universelle du complexe d'Œdipe, sous sa forme classique, au profit de la présence complexe et mobile de leur subjectivité aux prise avec le corps et ses représentation symboliques, dans un processus constant de différentiation sexuelle. .La condition en est que les deux parents soient eux-mêmes pris dans ce processus. L’assomption de la castration de l’enfant est toujours subséquente à celle de ses parents, comme d’ailleurs pour patients et thérapeutes . On peut en effet craindre que les analystes ou thérapeutes qui sont pris dans la toute puissance de leur théorie, quelle qu’elle soit, ne fasse que répéter l’origine du problème de leurs patients.
Sexe et amour…
Par contre un autre élément important concerne cette différence sexuelle, moins étudiée en psychanalyse, et pourtant plus parlant et plus universel : c'est le désir amoureux. Il est curieux de constater que parmi nos contemporains certains tombent facilement ou souvent amoureux, d'autre difficilement ou rarement. Ces variations du désir amoureux font partie de certaines cliniques repérées, telles l'hystérie ou la psychopathie, voire la paranoïa, la dissociation dite psychotique.
On peut supposer dans ce registre deux sortes d'amour principaux. Une première manière d'aimer est précisément cette construction qui devient possible à partir de l'état réaliste de son propre désir et de ses limites, dans le plaisir de la rencontre avec un partenaire singulier lui aussi. Cet appétit pour la construction de la vie, ce désir de faire, de penser, de transmettre nous met alors dans le besoin le plus absolu d'une alliance avec un autre dont on dépendra autant qu'il dépendra de nous pour la réalisation de beaucoup de nos désirs (mais pas tous). Cet amour qu'on pourrait appeler amour constructif est un amour qui s'accommode fort bien de la castration puisque chacun y est dès le début à sa place. La configuration oedipienne y est rare puisque justement la place de l'autre y est éminente en tant que limite acceptée de sa propre place. Dans l'histoire de ces sujets, la place des deux parents est généralement investie de la même façon sans conflit particulier, le seul problème résolu depuis longtemps étant celui de la toute puissance face au réel. Chaque partenaire, dans ces alliances, se met au service de l'autre autant que de lui-même pour construire ses désirs. Pour cela, mieux vaut-il que ces désirs soient réalistes, en vrai rapport avec la complexité singulière et réelle de chacun, y compris et même surtout dans son propre corps… L'enjeu d'une vraie connaissance des multiples différences sexuées, son acceptation sans rancœur, sont le prélude de la connaissance de soi qui conditionne l'invention de sa vie et la rencontre de l’autre.
A l'opposé une autre sorte d'amour relie aussi les hommes et les femmes : c'est un amour plus douloureux, un amour qui va fonctionner comme un refuge face aux difficultés de la vie, abolissant ainsi les rencontres déplaisantes qui nous mettent en difficulté par l’invention apparemment fortuite d’une passion amoureuse.
Cet amour-là va vouloir envahir impérieusement l'autre sexe, afin d'inventer quelque chose qui soit ni homme ni femme mais une sorte de rêve affublé du registre de la toute puissance, l’agalma platonicien repris par Lacan. Il suffira, dans ce fantasme dangereux, d'être ensemble pour que tout aille bien… C'est la classique fin des contes de fées (ils vécurent heureux et eurent beaucoup d'enfants) qui correspond en fait à la fin de l'enfance et à l'entrée dans la puberté. Probablement cette fin des contes pour enfants est-elle une des dernières expressions de la toute puissance infantile, liant sexualité et bonheur... En réalité, le plaisir de la sexualité adulte nécessite toujours aussi responsabilité, construction, frustration et effort.
Ce deuxième mode amoureux, venant effacer les aspérités du réel, est aussi fréquent que l'autre mais n'est fondamentalement pas de même nature puisque les retours ne se font pas attendre. Loin d'être un amour constructeur c'est un amour douloureux, le plus souvent destructeur dont il s'agit alors. Cet amour là est oedipien, car il témoigne d'une difficulté d'abandon de la toute puissance par le sujet, qui est la clé des thématiques oedipiennes avérées et symptomatiques.
Ce rapport entre les sexes, ce rapport sexuel, ce rapport amoureux va largement participer à structurer le conscient et l'inconscient de l'enfant. Contrairement à ce que posait Lacan dans l'idée qu'il n'y a pas de représentation du rapport sexuel chez l'enfant, chacun d'entre nous en a une représentation très concrète : la façon dont son père parlait à sa mère, et réciproquement. C'est là le rapport sexuel fondamental qui structure le psychisme. C’est là le traumatisme fort et souvent durable des séparations parentales : les deux sexes ne se parlent plus, voire se font la guerre mutuellement, détruisant l’enfant de l’intérieur de lui-même…
La façon dont un homme et une femme se parlent montre la manière dont la limite sexuée de chacun s'articule à celle de l'autre : soit avec l'humilité de la reconnaissance du réel de la position individuelle, originale de l'autre ; ou avec la toute puissance dont chacun va faire preuve, de vouloir dépasser la limité réelle à la fois de son propre corps ou du corps de l'autre.
A chaque fois des conséquences très différentes s'ensuivront sur le désir d'accès à la connaissance, au savoir, de l'enfant ou de l’adulte qui est pris là dedans. En effet, pourquoi apprendre si la toute puissance proposée est supposée être à portée de main?
Et s'il est vrai que les gens se font l'amour comme ils se parlent, ce qui doit ouvrir tout de même quelques idées sur la clinique pour ceux qui s'intéressent à la sexologie, c'est bien dans cette parole échangée, dans ce dialogue que chacun, du socle de son corps singulier, de son sexe, va explorer le monde, y compris celui de l'autre.
Le sexe des anges
Si l'invention de sa propre vie est la grande affaire de l'homme, elle dépend, on l’a vu , du conflit de deux axes majeurs : le corps du sujet et la culture dans laquelle ce corps est inscrit. C'est là que la subjectivité prend corps et âme, dans cette croisée entre l'interne du pulsionnel et l'externe de sa réalisation. L'origine de la pulsion est interne, biologique, le but externe, culturel, symbolique… La subjectivité est alors l'expression de l'inventivité nécessaire pour faire fonctionner ces deux plans qui ne sont pas toujours, et il s'en faut de beaucoup, congruents.
La castration parle d'abord et avant tout de cette nécessité d'accepter les termes du conflit, pour pouvoir le vivre… Que le monde limite nos désirs, que nos désirs limitent eux aussi notre monde, et voilà les termes du processus subjectif en place. Si la toute puissance tapie au fond de la cervelle de chacun ne passe pas au filtre de cette castration, alors la pulsion ne donne rien d’autre que de la jouissance incontrôlée, destructrice de toute transmission, inhumaine. Au contraire, lorsqu’elle l’accepte, elle se met au service de l’invention humaine, de la création d’une existence de sujet en transmission. Si l’oedipe n’est pas universel, si les règles de l’interdit de l’inceste transgénérationnel sont variables d’une civilisation à l’autre, (l’inceste intergénérationnel reste, lui, général), la castration est universelle au sens de la limite du désir de l’un par le collectif auquel il appartient. C’est là un des fondements de l’humanité, et reste un fondement de la psychanalyse.
La condition pour que cela se passe est donc que le sujet ne soit pas un ange, qu’il ait des désirs contrariés, et même interdits, en particulier sexuels, contrairement à celui-ci… La vieille question du sexe des anges a donc un rapport avec notre sujet..
C'est que l'ange est, entre autres, la représentation d’une intelligence supposée du monde. Il parle donc du désir de maîtrise de ce monde, est le témoin de sa transformation en dessein humain. Il n'est que la représentation, la projection du désir de vérité de l'homme, affublé des signes de la toute puissance du divin. Il est certain, dans l'histoire des religions, que les anges précédèrent les Dieux. Ils sont le témoin de cet animisme pré antique, totémique, qui projetait ces pulsion encore largement toutes puissantes. Ce courant est à l’œuvre dans la mouvance créationniste actuelle…
Que ce soit dans la religion ou chez Spinoza, pour une fois d'accord, il est supposé que la sagesse viendrait avec la maîtrise du savoir, dans une approche de l’harmonie angélique du monde… C'est d’abord pour cela que l'ange n'a pas de sexe, pas plus que la religion ou Spinoza, d’ailleurs, puisque la sexualité parle d'abord et avant tout du contraire de cette maîtrise. C’est d’ailleurs ce que voulait sans doute dire Lacan quand il avançait que le rapport sexuel n’existait pas..
Le débat théologique byzantin à ce propos n'est pas, de ce point de vue, une si petite affaire. Si la religion voulait être toute puissante et universelle, il fallait bien que ses représentants, les anges, n'aient pas de sexe, c’est à dire n’aient pas de contradiction interne. Ce débat sur le sexe des anges n’est rien moins que la tentative d’inscrire l’immortalité, monologique, en lieu et place de la sexualité, complexe. Le débat byzantin qui eut lieu à ce propos n’eut d’autres fonctions que de rétablir l’autorité temporelle et militaire totale de l’église à une époque fort troublée, où la promotion de l’ascèse, comme toujours, cachait un désir de pouvoir absolu. Lequel pouvoir savait s’entourer d’eunuques et célébrer la vie de Saints ascétiques. Cela a d’ailleurs marché plus de mille ans pour l’empire byzantin, l’alliance étroite entre religion et pouvoir, aux mains du Basileus, bloquant l’inventivité sous le poids du rituel. L’anorexie mentale rejoue au niveau individuel ce qui se tramait à ces époques au plan social : la prise de pouvoir absolue d’un clan sur les autres, dans un fantasme de jouissance d’empire, où religieux et politique étaient confondus. Souvenez-vous des empressements de ces empereurs à se faire couronner par le pouvoir religieux, de Clovis à Napoléon. Pour Byzance, si les anges ont un sexe, alors toute vérité devient aussi relative et le pouvoir ouvre la porte à sa contestation…
Il en est ainsi du sujet, qui, s'il n'a pas à voir avec la maîtrise, est donc aussi une affaire de sexe, donc de rencontre aux conséquences imprévues, de contradictions d’un signifiant à l’autre, de mises en perspective d’une logique par une autre! Et si l’inconscient, comme je l’ai déjà écrit ailleurs, et de façon générique, est l’espace entre la prévision et la réalité, il est bien compatible avec le sexué, et aussi imprévisible que lui !!! De ce point de vue, pas d’inconscient à l’intérieur même d’une logique particulière, tant que l’on reste douillettement à l’intérieur de ses axiomes, en refusant de les risquer dans la rencontre d’une autre logique. Enfin, quand la rencontre de plusieurs logiques subjectives en produit encore d’autres, si ce n’est pas une affaire de sexe, là…Puisque aucun système vivant ou même complexe ne désire ni souvent ne peut penser sa propre limite ou sa propre fin, alors, puisque le sexe inscrit cette limite et cette mort dans la réalité vivante, l’inconscient est bien nécessairement sexué. Les systèmes de toute puissance, monologiques, ne veulent pas connaître pas cet inconscient, et lui font même une chasse effrénée (le faisant ainsi malgré tout exister), y passant même beaucoup de temps. On peut retrouver cet aspect dans certaines de ces attaques violentes que la psychanalyse a connu ces derniers temps. Notons que cela peut l’amener, malgré tout à remanier quelque peu ses procédures d’évaluation et donc d’invention, et à sortir des psittacisme freudien et lacanien, eux aussi sans limites et tout puissants… Il faut parfois quelques électrochocs salutaires…. (Si Freud était intéressé par l’évaluation, même si ce fut, il est vrai, sans beaucoup de rigueur, voire d’honnêteté, Lacan, lui, la dénia complètement, ce qui n’est pas pour rien dans la dérive quasi sacrée dans laquelle la plupart des mouvements lacaniens ont enfermé sa parole. L’évaluation, quand elle est intelligente, est une de ces limites qui font exister le nouveau, l’imprévu, et permettent le renouvellement)
Le sujet inconscient est nécessairement dans la limite qu’oppose aux significations culturelles le corps sexué et singulier, témoin du processus même de la subjectivité, condition forte d'abandon de la toute puissance qui ne fonde sinon que le contraire de l'humain, à savoir la barbarie d’une norme aussi incontestable qu’elle est monologique. De ce point de vue, Byzance asexué et débauché à la fois fut aussi raffiné que barbare, dans sa tentative presque réussie d’empire éternel…..
Une clinique sexuée ?
Le sujet de la psychanalyse est donc bien particulier. C'est une entité introduite par Lacan, et non par Freud, dans la définition maintenant bien connue : le sujet est représenté par un signifiant, pour un autre signifiant… Le sujet n'est que représenté, dès qu'il existe, consiste, il disparaît immédiatement. C'est en fait, pour dire autrement, la capacité d'invention de sa propre vie que possède un vivant. Le plus manifeste de son existence tient au style de quelqu’un, qui est la marque singulière que chacun imprime à sa parole vivante.
Le sujet donc est un concept, et non une chose. Autrement dit, c'est le rapport dynamique des choses entre elles, ce qui définit l’avancée humaine. S'il se réduit à la chose, neurologique, biologique, biochimique, génétique, alors, il n'est plus question de sujet humain. Le sujet de la psychanalyse n’existe qu’en fonction des rencontres signifiantes, qui ne sont pas du côté du contrôle ou de la maîtrise. Mais ce sujet, pour Lacan, n’était pas spécifiquement sexué, sauf à quelques rares occasions, dont j’ai parlé plus haut.
Pour quelle raison Freud n'a-t-il pas abordé cette question du sujet, alors qu'il inventa deux des bases même de la subjectivité : le transfert, et l'association libre ? Le transfert, car il est le lieu d'élaboration et même d'existence de cette subjectivité. L'association libre, car elle est la modalité, dans le lieu transférentiel précédemment cité, qui conditionne que cette subjectivité invente suffisamment pour exister sans le trop de souffrance qui induit les traits psychopathologiques.
Outre qu’on ne va pas lui reprocher de n’avoir pas inventé toute la psychanalyse, il est probable que l’objet médical qui lui était cher a occulté ce qu’il mettait pourtant en place dans sa pratique : l’objet de la science n’est pas la science du sujet, même si chacun limite fort utilement l’autre. C’est ainsi que le fantasme de maîtrise scientifique que partageait Freud, même s’il savait en être loin, témoignait d’un désir de contrôle qui éloigne à la fois de la subjectivité et de la sexualité. Pas de sujet chez Freud, donc à fortiori pas de sujet sexué.
Il serait bien extraordinaire que là où s’opère l’aperçu de la mort, en même temps que le plaisir de la limite, c’est à dire la sexualité, le symptôme ne foisonne pas, ouvrant la voie du sujet inconscient. Cette révolte contre la réalité, chacun va la mener avec ses moyens précis, individuels, ceux des hommes et des femmes n’étant pas les mêmes. La fin est identique, les méthodes diffèrent à l’infini.
C’est souvent dans le soucis du détail que les œuvres échouent ou avancent, comme les analyses. Il ne suffit pas de situer dans ses grandes lignes les problèmes communs à l’humain, d’énoncer deux ou trois principes fondamentaux, pour que la complexité humaine s’y dissolve en l’émergence d’un sujet singulier..
C‘est la démarche qui est mienne depuis une dizaine d’années : partir de la clinique singulière des symptômes pour en déduire des paradigmes. Pour chaque patient, une part de la cure lui appartient irréductiblement, une autre peut être entendue par l’analyste, lui permettant d’avancer dans la compréhension d’un trait clinique. En effet, si le sujet n’est pas observable, n’est pas réductible à l’analyse, le trait clinique, le symptôme, lui, l’est partiellement. C’est même pour cela qu’il se répète, qu’il persiste.. La répétition n’est que le signe d’un blocage de l’invention de sa vie. S’il n’est pas certain que la vie ait un sens (elle en a plutôt de nombreux, en constant remaniement), le symptôme, lui, en a un, à découvrir dans l’analyse. C’est même parce qu’il a un sens qu’il pose problème…
C’est cette science du détail du trait clinique qui va affûter l’oreille de l’analyste, lui permettant plus rapidement d’avancer avec son patient vers la découverte de la subjectivité.
Ce trajet ne se fait pas sans présupposé de la part de l’analyste, cela va de soi. Mais chaque patient devient ainsi l’enseignant de l’analyste, en lui proposant de vérifier, compléter, modifier ou abandonner telle ou telle théorie de tel ou tel symptôme. La cure devient une pratique de remaniement.
Les catégories cliniques classique de la psychiatrie ou de la psychanalyse ne sont pas sexuées : les traits obsessionnels, hystériques, psychotiques, ou autres appartiennent aux deux sexes, et sont étudiés en tant que tel. Certainement, la question sexuelle y est souvent repérée, des dominances ont été remarquée pour tel ou tel trait clinique. Mais il n’est pas vain d’essayer d’aller un peu plus loin, et de proposer une clinique sexuée, masculine et féminine, ce qui ne ferait, au fond, que respecter la réalité de ce détail sexuel qui différencie le corps des uns et des autres, pour autant que ce lien du corps et de la culture est ce qui fait l’homme dans sa difficulté singulière, y compris sexuée, dans sa rencontre du réel… Ce détail sexuel parle aussi dans le symptôme, ce que nous allons donc explorer au féminin, puis au masculin dans les deux chapitres qui vont suivre. Peut-être cela ouvrira-t-il l’esprit sur l’idée que si le sujet inconscient est sexué, alors la cure psychanalytique a plus de chance d’être en accord avec le corps singulier de chaque patient.