La réduction symbolique, ou le fondement schizo-paranoïde de l’appareil psychique.
(André Rondepierre, qui fut mon analyste et mon premier contrôleur, attira mon attention sur cette importante question. Ce chapitre en sa mémoire…)
Symbole et hypertélie
Le symbole amène quelque chose de plus au signe, s’il en émane, comme on l’a vu, probablement par le biais de l’hypertélie et de l'arbitraire qu'elle met ainsi à disposition de la pensée. Il crée en effet une identification de groupe, une reconnaissance entre les sujets de cet habitat que nous évoquions plus haut. La place de l'hypertélie dans l'univers symbolique est d'autant plus manifeste qu'on passe du monde animal à l'homme. L'évolution de cette fonction symbolique est sans doute en jeu dans le passage des bois du mégacéros aux pyramides d'Egypte ou plus proche de nous à la tour Eiffel, par exemple… Qu'est le château de Versailles sinon la manifestation hypertélique, donc hyper symbolique aussi, du pouvoir royal ?
La fonction phallique identifiée par Freud est ainsi toujours étudiée par les psychanalystes en raison de l'inscription symbolique qui vient définitivement et radicalement chez l'homme inscrire la pulsion sexuelle dans le registre de la loi familiale et sociale. L'interdit de l'inceste n'est pas spécifiquement humain, mais se retrouve dans de nombreuses espèces animales grégaires. Sa fonction est assurément biologique, et participe aux multiples adaptations dont le génome a besoin pour rester en phase avec les mouvement du monde. Au fur et à mesure de la complexité des structures sociales, et donc singulièrement chez les humains, cette inscription de la sexualité dans le monde symbolique est de plus en plus prégnante. Aussi la visibilité du symbole de cette inscription est-elle fort utile lorsqu'elle se montre dans le phallus hypertélique dont la fonction symbolique sera d'autant plus forte qu'elle se verra plus, en tant qu'inaccessible à chaque individu, au profit de l'ensemble du groupe. Gare cependant à ce que le sujet ne soit pas totalement écrasé par cette fonction symbolique…
Cette fonction proprement hypertélique du phallus n'a que peu été étudiée en tant que telle. Mais qu'est le sceptre du roi, de l'empereur, si ce n'est ce symbole dont la force et la taille même font s'incliner tous les humains sous son hypertélie. Le roi, ou le président qui oublie lui-même de s'incliner sous le poids de sa propre couronne (comme les rois et empereurs en France lors de leur proclamation…), se prenant réellement pour ce qu'il représente symboliquement, pliera vite sous la révolte des humains qu'il ne représente dès lors plus. On le voit dramatiquement actuellement, entre autres raisons de cette insurrection…
La fonction phallique trouve sinon sa place hypertélique de structuration du groupe humain autour du symbole qui le représente, dont les cathédrales gothiques chez nous, les pyramides ailleurs, et autres tours Eiffel ou obélisques, pour autant que se préserve sa simple et centrale fonction symbolique d'appartenance et d'identité d'un groupe, et non comme pouvoir réel d'une caste sur le reste de la population. Jacqueries, révoltes, insurrections ne tardent alors pas de rappeler que cette symbolique d'appartenance ne doit oublier personne pour fonctionner socialement, et non simplement au profit des premiers de cordée et de ceux qui sont quelque chose, et non rien…
Dans la révolte, là aussi, un symbole d'appartenance devient nécessaire à la cohésion du groupe, et un choc couleur, la détournant de sa fonction première de visibilité sur la voie publique, donne au gilet jaune une hypertélie colorée que l'on a vu naître sous nos yeux…
Mais laissons l'actuel et ses passions difficilement analysables dans l'instant, et revenons à notre sujet.
Symbole et identité
Contrairement au signe, lié essentiellement au comportement, le symbole raconte déjà une histoire commune, défini un habitat culturel, est trace d’un savoir transmis, tout ceci dessinant une identité culturelle, avec les effets alors de l’heimlich (familier) dans l’adhésion et d’un unheimlich (étrangement inquiétant) pour ce qui est en dehors de lui, c’est à dire éventuellement d’autres symboles...
C’est ainsi que le terme barbare signifie essentiellement et étymologiquement celui dont on ignore la langue, dont on ne peut ni se représenter ni comprendre profondément la culture, la symbolique. Le symbole crée dans un même temps la familiarité entre les êtres qui y sont liés et la crainte de ceux qui sont liés à d'autres… Dans son essence même, le symbole crée une intériorité et une extériorité, une inclusion et une exclusion.
C'est fondamentalement pour cela que le terme de réduction s'accole à lui. Il implique un reste, complexe, qui est à la fois l'univers des perceptions qui est secondarisé par rapport à lui, comme ce que nous avons vu pour le signe, et le monde des autres symboles, des autres langues qui lui sont étrangers, barbares.
S'en tenir à notre propre langue, tenter d'y habiter exclusivement, voire de s'y réfugier dans un illusoire univers abrité du reste du monde, et voilà la définition du racisme, qui est fondamentalement un symbolisme qui ne voudrait plus apercevoir le reste du réel qui ne s'inscrit pas en lui. Le racisme est une réduction du monde qui voudrait rester stable, voire être le monde lui-même. Le reste de cette dramatique réduction, exclu et donc ne remaniant dès lors plus rien de cette univers symbolique clos et assiégé, ne peut que faire retour dans le réel. Et plus ce monde symbolique sera clos, plus violente sera la chute… Une identité qui ne se remanie plus tourne à la catastrophe rapidement, puisque l'adaptation au flux du monde, évidemment incessant, ne se fait plus.
L'autonomie du symbole
Mais une autre réduction opère aussi, plus interne aux fonctions symboliques dont nous venons de parler : une dérive va souvent se voir entre ce que représente le symbole, par exemple le pouvoir royal dans les exemples donnés plus haut, et le symbole lui-même, qui va en quelque sorte se mettre à exister pour lui-même, indépendamment de l'univers complexe sur lequel il s'appuie et qu'il ne fait en réalité que représenter. C'est ainsi, pour en reparler là, que l'aristocratie égyptienne se ruina dans ces constructions immenses, détournant la structure sociale qui préexistait à ces hypertéliques architecturales au bénéfice du symbole lui-même, qui devint la cause du déclin de ce peuple, au lieu de simplement le représenter, tout comme ce qui arriva au mégacéros… Lorsque la complexité que réduit le symbole disparait à cause de la toute puissance de ce dernier, plus rien ne tient. C'est, pour la petite histoire, toute la thématique de la saga de Tolkein, au long de laquelle l'anneau magique ne représente plus qu'un pouvoir délié de sa fonction première de cohésion sociale, inaugurant ainsi guerres et catastrophes qui font le coeur de cette suite littéraire.
Comme le signe, le symbole va ainsi avoir un usage souvent adapté, et un autre détourné, autonome, par l'utilisation à des fins différentes de sa force informative et de cohésion d'un groupe, de contrat social. Comme ces serpents non venimeux qui se parent des couleurs d'autres espèces qui elles le sont : la tromperie est là un détournement de la fonction première de ce signe, à l'origine dévolu à l'espèce venimeuse. Il en est de même parfois pour le symbole.
C'est ainsi que les naufrageurs utilisèrent des feux lors de tempêtes, qui ressemblaient au symbole du phare salvateur, pour précipiter les navires sur les écueils, et ainsi récupérer les cargaisons. Nombreux étaient les pilotes qui ont privilégié ce faux phare, en dépit des signes nombreux de dangers immédiats parfois repérables car la priorité avait été donnée dans leur esprit à ce symbole. Il est possible de parler pour le phare de symbole plus que de signe, puisque c'est un contrat passé entre des accueillants et des voyageurs pour les assurer d'un abri, d'une attention salvatrice pour la navigation.
L'historien Paul Cornec (http://www.wiki-brest.net/index.php/Naufrageurs_et_pilleurs_d%27épaves) détaille : "Secours au naufragé certes, dans des conditions souvent périlleuses, mais secours au naufragé limité au strict essentiel, c'est à dire au sauvetage de sa vie lorsque sa barque vient s'empaler sur la roche ou rouler dans les déferlantes des grèves. Mis au sec, il devient aussitôt le gêneur qui ne doit pas gâter la fête [...]. Le navire blessé est assimilé à un don du ciel, dont il ne fait aucun doute qu'il leur appartient désormais, si nécessaire par la contrainte. Dans leur intérêt, les riverains amalgament droit de bris et pillage [...]. Le marin rescapé redevient aussitôt ce qu'il est : l'étranger qui ne parle pas le même langage, y compris le français, et qui surtout tente de les léser de ce qu'ils considèrent désormais comme leur bien."
Si bien des historiens bretons, dont Cornec, mettent en doute de telles pratiques, pour des raisons touristiques évidentes, ceci n'explique pas pourquoi Colbert lui-même en aout 1681 édicta une loi ainsi libellée : "ceux qui allumeront la nuit des feux trompeurs sur les grèves de la mer et dans les lieux périlleux pour y attirer et faire perdre les navires seront aussi punis de mort et leur corps attaché à un mât planté aux lieux où ils auront fait leur feu.".
Il y eut bien des naufrageurs, ce qui est conforme à la réduction du réel qu'est aussi la fonction symbolique dans sa genèse, autorisant alors dans le même temps que l'entente de confiance, contractuelle, cet autre temps du mensonge, du leurre, du piégeage, utilisant le contexte d'appétence humaine pour le symbole salvateur, au détriment là du reste, qui pourtant se montre, s'entre-aperçoit dans la nuit ou la brume… Cet exemple montre de façon spectaculaire ce qu'est la réduction symbolique, et le piège toujours possible qu’elle comporte : le symbole ne garantit jamais complètement la complexité du réel sur laquelle il s’appuie.
Symbole et double lien
C'est exactement ce qui se passe pour le célèbre double lien identifié par Grégory Bateson dans la genèse de la schizophrénie. Il ne fonctionne en effet qu'en raison de la réduction sensorielle qui est le propre du symbolique. Rappelons les faits (https://www.google.fr/amp/s/harcelementmoral.blog/2013/02/06/double-contrainte-et-injonction-paradoxale/amp/) : On nomme double contrainte (double-bind) une paire d’injonctions paradoxales consistant en ordres explicites ou implicites intimés à quelqu’un qui ne peut en satisfaire un sans violer l’autre.
Cette notion a été découverte par l’Ecole de Palo Alto et Gregory Bateson.
Par exemple, celui cité par Bateson de la mère balinaise, qui dit à son fils :
« Tu ne m’embrasses pas ? » et alors qu'elle s'est raidie quand celui-ci vint lui faire un câlin. Or, comme on sait que le non-verbal domine toujours le verbal, cette mère dit à son fils à quel point elle ne l’aime pas.
En matière de manipulation, les piliers principaux de la communication perverse sont confusion, induction, culpabilisation. En fait le mot « communication » est particulièrement mal adapté puisqu’il s’agit en fait de ne surtout pas communiquer.
Son but : affaiblir l’autre, le faire douter de lui, de ses pensées et de ses affects. La victime va y perdre le sentiment de son identité. Puisqu’il s’agit à la fois d’éviter le conflit direct avec elle, et de l’amener à une totale docilité, elle doit être privée tant de son sens critique que de sa capacité à se rebeller. Alors seulement il sera possible de l’attaquer pour la mettre à sa disposition.
To bind (bound) signifie « coller », « accrocher » à deux ordres impossibles à exécuter avec un troisième ordre qui interdit la désobéissance et tout com-