Fin d'analyse, les post lacaniens.
(Merci de vos réaction sur mslevy@laposte.net)
En réalité, la mouvance lacanienne qui existe depuis la dissolution de l'École Freudienne a produit peu d'avancées nouvelles. Ce qui en soit est une préoccupation, puisqu'un corpus qui ne se modifie plus devient une croyance, une secte, une supercherie, mais perd le statut de science.
La seule modification notable concerne la passe. Certains vont répéter complètement l'échec de Lacan, d'autres vont l'abandonner, mais en gardant à peu près tout le reste.
Quelques exceptions à cela, dont un travail de Gérard Pommier, et bien entendu les élaborations d'Alters. Juan David Nasio, aussi, se démarquera, nous le verrons.
Nous allons commencer par étudier l' article de Gérard Pommier qui s'intitule "La fin relative de l'analyse."
Dans sa conférence de 1927 intitulée : « Le problème de la fin des analyses ", Sandor Ferenczi affirmait que « L’analyse n’est pas un processus sans fin mais peut, si l’analyste possède la compétence et la patience requises, être menée jusqu’à une conclusion naturelle ». La « nature » de cette conclusion reste jusqu’à ce jour controversée, et, en tout cas, Freud était plus nuancé lorsque dans son texte L’analyse finie et infinie, il se demande « s’il existe une fin naturelle à une analyse, s’il est même possible de mener une analyse à une telle fin ».
On pourrait longuement discuter ce que l’on entend par « fin de l’analyse ». Toutefois, pour l’analysant, la fin de l’analyse veut dire qu’il va mieux. Sa fréquentation du divan commence parce que quelque chose cloche dans son existence. De quoi s’agit-il ? Il n’en sait trop rien. Il ignore souvent que ses symptômes organiques ont une cause psychique. Ce n’est qu’après un certain temps d’analyse qu’il s’apercevra – alors que divers désagréments comme des migraines, des cystites, des douleurs gastriques, etc., ont cessé – qu’une cause psychique animait cette sarabande. L’analysant commence donc à cause d’un malaise qu’il n’arrive pas forcément à situer, à des fins thérapeutiques. Naturellement, l’analyste qui enregistre ce vœu situe cette fonction curative au second plan : cela ne veut pas dire qu’il s’en désintéresse, mais seulement qu’il la considère comme la conséquence éventuelle et souhaitable de la tâche analysante. Gérard pommier introduit là une différence tout à fait importante entre la fin de l'analyse vue par l'analyste et la fin de l'analyse vu par le patient. Et en effet il n'est pas du tout certain que ce soit la même chose.
Retenons donc que d'après Gérard pommier, ce qui intéresse le patient, c'est d'aller mieux : précisément ce dont il affirme trois phrases plus loin que l'analyste ne doit pas s'en occuper directement. Parler de second plan quant à la question de la guérison du symptôme pose un problème majeur d'entrée, puisque cela amène alors à ce que le processus de l'analyse soit détourné du côté de l'analyste plutôt que de rester dans un entre-deux, entre les théories du patient et celles de l'analyste.
Il n'y a pourtant guère d'inconvénient à cheminer avec le patient, en restant attentif et respectueux de sa demande, de sa souffrance, tout en maintenant l'exploration patiente des raisons complexes et inconscientes de son émergence.
Ce discret mépris du symptôme qui chemine dans le champ de l'analyse depuis que Freud l'a introduit en parlant de guérison par surcroît, repris par presque tous les auteurs, me paraît devoir être remis en question, sans pour autant donner dans les travers beaucoup trop réducteurs du comportementalisme.
Au contraire, rester respectueux de cette demande singulière du patient, à travers son symptôme et sa souffrance, présente le grand avantage de laisser notre arsenal théorique en position secondaire par rapport à une cure particulière, quitte à chercher des aménagements, à remanier les éléments de ce savoir transmis à travers d'autres psychanalyse. Garder sur le même plan le symptôme et la tâche analysante, comme dit Gérard Pommier, présente l'avantage immense de rester au plus près de l'énigme du patient précis qui est en face de nous. De plus, nous le verrons plus tard, il existe un rapport entre la présence du symptôme et la reconstruction narcissique qui accompagne le travail d'une cure analytique. C'est même un indicateur qu'elle reste encore incomplète...
G. Pommier poursuit ensuite par la question du transfert.
Lorsque Lacan a mis en exergue le savoir en jeu dans le transfert, il a en même temps entièrement renouvelé le ressort de la cure. Le transfert s’est trouvé ainsi asséché de toutes relations aux affects, de même que devint inutile la notion de contre-transfert, supplantée par le terme de désir de l'analyste. On ne peut mieux dire la limite de la mathématique lacanienne : privilégier à ce point la structure signifiante revient à assécher l'échange transférentiel imaginaire, et risque d'appauvrir considérablement le matériel même de la cure, de sorte que le terme ne peut en être atteint, faute de reconstruction suffisante à travers le jeu des projections transférentielles. L'analyste n'est pas qu'un sujet supposé savoir qui prive l'analysant de l'aventure de son désir, mais c'est aussi pendant un long temps de la cure le support d'une autre scène à décrypter.
Ce que G. Pommier détaille plus loin :
l’analysant prête à l’analyste un savoir sur son propre inconscient, et il va en attendre la révélation . J. Lacan énonce en ce sens dans l’Acte analytique : l'analyste est d’abord le sujet supposé du savoir de l’inconscient. Il est d’ailleurs exact qu’à force de le chercher, l’analysant va effectivement trouver qu’il est à sa portée, illustrant à sa manière la fable du Laboureur et de ses enfants. C’est donc finalement l’analysant qui est le sujet de ce savoir. Par conséquent, le sujet du savoir passant de l’analyste à l’analysant, sa supposition devient obsolète et l’on dira que le transfert touche ainsi à un terme logique. Mais peut-on considérer que la fin de l’analyse coïncide avec la chute de ce « sujet supposé au savoir" ? Il s’agit seulement de l’un des sens de la fin de l'analyse. Naturellement, une analyse est terminée quand l’analysant ne vient plus voir l’analyste, mais il s’agit seulement, dans la plupart des cas, d’une analyse incomplète, ou d’une analyse dont le patient se satisfait. La fin de cette dimension du transfert ne spécifie pas la fin de l’analyse dans le sens qui nous intéresse, c’est-à-dire celui d’une analyse qui serait terminée pour l’analysant eu égard à ses symptômes. Ainsi, Gérard Pommier critique clairement la fin purement théorique d'une psychanalyse, et ramène le symptôme à sa place centrale qui est de signaler la singularité dernière de toute fin de cure.
Puis il explique sa propre théorisation de la fin de la psychanalyse :
c'est qu'il faut partir de la cause : le sujet ne veut rien savoir du traumatisme pour ne pas perdre l’amour de celui qui le lui a infligé.
Mais il faut en dire plus pour comprendre ce processus, car naturellement, le psychanalyste n’est ni le responsable, ni même le tenant lieu des traumatismes dont l’analysant va parler. L’analyste est le suppôt d’un trauma qui n’appartient qu’à la cure : le recouvrement du présent par le passé crée en lui-même un trauma qui ne correspond à rien que l’on puisse définir comme tel. De sorte que le souvenir des traumas du passé vole au secours de ce trauma sans nom : tous les noms anciens jusqu’aux plus précoces vont venir habiller ce choc vide. L’analyste est le suppôt de ce trauma spécifique qui convoque les souvenirs traumatiques du plus loin de l’enfance. L’essentiel de la « névrose de transfert », c’est que le traumatisme ne tient pas à l’événement passé ou même à tel traumatisme qui se serait reproduit répétitivement jusqu’au présent : il tient au recouvrement lui-même du présent par le passé. Il devrait suffire de se dégager d’un tel recouvrement pour que le traumatisme perde de son intensité et sombre dans l’oubli. Lorsque cette spécificité du recouvrement des identifications aliénantes cède grâce à la symbolisation du symbole, la puissance du transfert s’amenuise.
Ce n'est pas le sujet supposé savoir qui se dissout, mais la dimension traumatique. Ce recouvrement du présent par le passé, que Pommier met au cœur du traumatisme qui motive la psychanalyse cède grâce à la symbolisation du symbole, Notion pour le moins floue qu'il éclaire ainsi :
Le bénéfice de cette violence sucrée est donc immédiat : la situation transférentielle engendre la reviviscence des symboles du traumatisme, et c’est eux qu’il importe de saisir et de symboliser. C’est lors de ce choc renouvelé du traumatisme que les fixations pulsionnelles vont se défaire et que le symptôme va se subjectiver en fantasme : il ne reste plus qu’à les réaliser, ces rêves enfin conscients ! L’analyste a accompli la positivité de sa fonction, rempardé derrière l’inconnu que représente son désir, mystère qui autorise le transfert et la conclusion vers laquelle il achemine. En fait il semble que Pommier sans le dire aussi nettement, parle de symboles refoulés de traumatismes anciens dont les affects encombrent le présent, et que l'analyse permet de remettre au jour et à leur place, qui est d'abord de les reconnaître, dans un raisonnement très fidèle à Freud.
S'il est par ailleurs difficile de partager avec l'auteur cette notion de réalisation du fantasme, il est cependant exact que la levée du refoulement permet la reviviscence du monde fantasmatique, lequel reste la base imaginaire du désir.
Dès lors l'analyse est un processus qui trouverait sa fin lorsque l'infantile est débusqué en l'adulte. Ce qui n'est pas certain :
Il existe un irréductible de la « folie » humaine qui résulte de la confrontation à un désir insatiable, distinct de la prise du sujet dans la névrose, la psychose, ou la perversion. Il s’agit de ce qui est obtenu grâce à l’écart entre le but et l’objet de la pulsion. Le désir n’est nullement « normalement » névrotique, psychotique, ou pervers. Il ne relève de la pathologie que dans la mesure où des figures de l’infantile se surimposent à des situations actuelles de la vie « adulte ». En ce sens, l’analyse consiste à se dégager de la névrose pour naviguer dans les eaux de cette sorte de folie humaine, qui se confronte au paradoxe du désir. Cette « folie » n’ayant rien de démentiel et se limitant le plus souvent à l’excitation joyeuse qui consiste à laisser aller son vouloir vers son désir (pouvoir aimer, travailler et ne rien faire) en sachant plus ou moins que les aléas sont inévitables, les objectifs de l’analyse sont ainsi franchement revus à la baisse. Leur modestie contraste avec les descriptions exaltées d’un moment de déréliction qui ne prend cette allure définitive que parce qu’il a été décidé à l’avance que la fin devait être absolue On sait que je le rejoins dans cette critique de la fin d'analyse lacanienne. Et donc il ne suffirait pas que la névrose infantile soit débusquée pour que l'analyse trouve son terme, en évitant cet étape il est vrai proprement inhumaine du désêtre.
Le symbole témoignait de l’absence du sujet au moment d’un traumatisme, engendrant ensuite la régression pulsionnelle et l’écriture du symptôme. La subjectivation accomplit le chemin inverse à celui de la pulsion, elle retourne le savoir inconscient en dehors du corps, vers la réalisation fantasmatique .Trouver la corrélation du symbole et du traumatisme, puis démonter les chaînes de savoir qui lui correspondent et surtout les subjectiver, voilà ce qui engendre une rupture des fixations de la pulsion sur le corps. Renverser l’objectivation régressive pulsionnelle en fantasme subjectif libère l’action, et ce retournement vers l’action est encore une autre façon de décrire la fin de l’analyse (pouvoir aimer, pouvoir travailler et pouvoir en profiter. Avec le retournement de la pulsion en fantasme, la jouissance pulsionnelle retrouve sa fluidité. Peut-être lui arrivera-t-il encore de régresser, de former de nouveaux symptômes, selon d’autres modalités d’écriture régressive. Mais en tout cas, ce ne sera plus en fonction des mêmes symboles du passé, qui auront été symbolisés et purgés de leur charge de savoir inconscient. Une forme de limite assez nette survient alors dans le développement de Gérard Pommier : existerait un désir "adulte" décrit plus haut, mais finalement instable, puisque le symptôme peut réapparaître sous d'autres formes, malgré l'éclaircissement de la névrose infantile.
C'est que, pour lui, le fondement de toute identification peut donner lieu à une formation symptomatique :
Cette pression constante de la libido est régulée par les identifications actuelles d’un sujet : ce que veut réaliser un enfant diffère des ambitions d’un adolescent, dissemblables de ce dont rêve un homme, puis un père, etc. En conséquence, le gradient de fixation du symptôme varie selon les âges de la vie, chaque identification correspondante pouvant être grevée par une scorie névrotique. Ce qui a été analysé jusqu’à une « fin » à un certain âge de la vie demandera à être actualisé dans une autre constellation identificatoire. L’analyse « terminée » d’un père de famille va se trouver perturbée à l’adolescence de ses enfants, qui va décaler d’un coup des identifications brusquement dévaluées, etc. À chaque changement de régime de la libido, une régression est possible : elle est susceptible de provoquer la formation de symptômes qui vont torturer le corps ou même l’annihiler : car, tel est aujourd’hui l’enjeu ! Les positions abruptes sur la fin absolue de l’analyse empêchent ceux qui ont une première fois fini leur analyse de se rendre compte qu’ils souffrent à nouveau de symptômes. Ils pensent à juste titre qu’ils ont fini leur analyse, et ils méconnaissent des symptômes nouveaux qu’ils mettent au compte de l’âge.
Le symptôme évolue au cours de l’existence : comme il se forme à la remorque des identifications aliénantes, sa présentation se renouvelle et varie. Encore une fois : l’identification d’un enfant ne ressemble pas à celle d’un adolescent, qui n’est pas la même que celle d’un homme en mal de paternité, différente elle-même de celle d’un homme déjà père, etc. La fin de l’analyse d’un enfant n’a pas le même sens que celle d’un adolescent, etc. Dans chaque cas, les traumatismes à symboliser ne peuvent pas aller plus loin que l’identification actuellement en jeu, à partir de laquelle la libido continue à pousser pour accéder à une autre identification qui, à son tour, va générer une nouvelle présentation du symptôme. Comme le fait remarquer Freud : « Il est bien prouvé que même un traitement analytique réussi ne préserve pas celui qui fut autrefois guéri d’être atteint plus tard d’une autre névrose, et même d’une névrose issue de la même racine pulsionnelle, donc à vrai dire d’un retour de l’ancienne souffrance" . C’est cette occurrence qu’il s’agit d’interroger, en considérant que la fin de l’analyse est seulement relative à un certain « âge psychique ». Aussi Gérard Pommier ne parle-t-il que de fin relative de l'analyse, et non de résultat définitif. La vie nous amenant, d'après lui, à des identifications sans cesse renouvelées, chacune s'accompagnant d'un refoulement nouveau, donc d'un processus névrotique à venir.
Dans chaque cas, les traumatismes à symboliser ne peuvent pas aller plus loin que l’identification actuellement en jeu, à partir de laquelle la libido continue à pousser pour accéder à une autre identification qui, à son tour, va générer une nouvelle présentation du symptôme.
L'identification est en soi un mécanisme de répétition d'après Gerard Pommier, la solution du désêtre étant justement critiquée par lui. Et comme toute identification génère un symptôme, il est de plus en plus clair que cette avancée par rapport aux thèses de Lacan conduit malgré tout également à des analyses infinies.
Et si quand même elle se termine, ce qui est illogique avec tout ce qui précède :
à chaque étape, une stabilisation se produit donc relativement à une étape ultérieure, et comme on ne peut aller plus loin tant que l’identification actuelle reste active, l’analyse est « finie ». L’analyse est complètement terminée en ce sens bizarre où elle programme en elle l’autodestruction de la phase actuelle, pour une étape future plus belle. Elle est donc bien à la fois finie et infinie. Infinie de sa finitude même. Bizarre en effet de parler d'idéalisation à propos d'une fin d'analyse, et on comprend que GP hésite à proposer cela..
Il semble donc que la modalité ainsi avancée fonctionne sur la répétition d'une structure identitaire particulière donnant par essence une place aliénante et traumatique à l'autre dès lors que l'identification s'engage. Pour Gérard Pommier, l'amour est traumatique, ce qui est une thèse fort intéressante, mais heureusement contestable.. Peut-être pas toujours, et nous verrons plus tard à quelles conditions, et le rapport à la fin de l'analyse.
Il est clair que dans sa proposition, un autre problème se pose : la fin de l'analyse se situant du côté de la réalisation des fantasmes, la butée est constante sur la réalité, et la régression symptomatique alors inévitable..
Il est deux autres butées d'après Pommier : Une culpabilité proportionnelle à l’amour va donc constituer une défense constante à la guérison. Le schématisme idyllique de la fluidification de la libido et de la guérison par dé-fixation des pulsions est sans cesse tiré en arrière par l’inhibition, par le masochisme et par la culpabilité.
On est quelque sorte constamment victime de l'amour, lequel non moins constamment nous assène des traumatismes répétés, comme on l'a vu plus haut.
La dernière butée est directement liée à la peur de la féminisation, en fait directement reliée à l'idée de Freud dans son article sur l'analyse finie et infinie, ici déclinée d'une façon un peu particulière : il est plus facile d’avoir peur d’être castré par un père, plutôt que de reconnaître le danger interne d’être féminisé par son propre amour pour le père.
Enfin, Gerard Pommier termine cependant par une remarque fort importante, à laquelle je souscris complètement.
La traversée du plan de l’identification, qui libère la stase pulsionnelle responsable des symptômes, est corrélative de changements de place. Elle montre que la fin de l’analyse est un terme relatif à certains moments de l’existence. Il faut souligner qu’une telle traversée se distingue des problèmes que pose le passage de l’analysant à l’analyste, dont il est fort douteux qu’il s’agisse d’une traversée du plan de l’identification. Il prend ainsi acte de l'échec de la passe, contrairement à beaucoup d'écoles d'obédience lacanienne, et distingue clairement les deux occurrences. Et va beaucoup plus loin, dans une direction où, contrairement à ce qui précède, je le suis volontiers. La doxa continue d’amalgamer la fin de l’analyse et le passage à l’analyste en dépit de l’expérience qui n’arrive pas à ébranler cette croyance, de même qu’il est assez largement admis que la fin de l’analyse est un événement absolu, non relatif à la présentation du symptôme.
La distinction est d’autant plus nécessaire qu’on peut se demander si ce n’est pas justement l’acte de s’installer comme analyste qui crée un problème spécifique concernant la fin (même relative) de l’analyse de ceux qui s’engagent ainsi. On comprend alors pourquoi Freud écrivit : « Il est incontestable que les analystes n’ont pas complètement atteint dans leur propre personnalité le degré de normalité psychique auquel ils veulent faire accéder leurs patients « Analyse finie et infinie », de sorte que la « fin » de l’analyse a un sens différent pour les analysants ordinaires et pour l’analyste. Pour les premiers, c’est simple : c’est la guérison. Pour l’analyste, il n’en sait rien, si ce n’est pas l’opacité d’une jouissance déniée. C’est sur cette inconnue que pivote l’efficacité du transfert, qui fonctionne malgré tout grâce à cette équivoque totale. La fin de l’analyse serait d’autant plus un problème pour les analystes qu’ils essaieraient de régler leurs difficultés en soignant les autres plutôt que de se soigner. N’est-ce pas dans cette mesure que tant d’analystes affirment avec conviction qu’une analyse se termine une fois pour toutes, puisque eux-mêmes se comportent comme s’ils avaient dépassé ce cap ? Cette certitude masque qu’en réalité, ils se soignent par personnes interposées, comme l’indiquent les témoignages naïfs du blocage complet du fonctionnement de l’inconscient de nombreux analystes qui se vantent, par exemple, de ne plus rêver, ou même de ne plus avoir de vie sexuelle (ce qu’ils considèrent peut-être comme une preuve de parfaite sublimation). Les analysants rêvent-ils à leur place ? Non seulement les analystes auraient ainsi des problèmes concernant la fin de leur analyse, mais ils seraient de plus perturbés par leurs propres analysants . Comment pourraient-il résoudre leurs symptômes, s’ils confondent la fin de l’analyse et le fait d’être devenus analystes ? À dire vrai, la fin de l’analyse est un sérieux problème d’abord pour eux, d’autant plus sérieux qu’ils en suspendent indéfiniment l’avènement en s’appuyant sur leur acte lui-même. À cet égard, la croyance en une fin absolue et définitive de l’analyse témoigne surtout d’une mise en acte du fantasme, dont la méconnaissance est proportionnelle à la jouissance qui en est tirée . L’analyste ignore, quand il commence, qu’il met en scène le fantasme dont il a pâti autant que joui. Le prétendu « désêtre » au moment du passage de l’analysant à l’analyste n’est rien d’autre que le refoulement du fantasme en jeu dans ce changement de position. On ne saurait mieux dire ce qui se passe probablement si souvent. Cette dernière approche de Gérard Pommier valide donc toutes les institutions d'analyse qui en ont terminé avec la nomination, dont Alters de ce point de vue. Notons aussi, pour ceux qui se souviennent de la conférence précédente, qu'il rejoint la position de Serge Lébovici sur la question de l'analyse didactique, inefficace pour lui en tant qu'analyse. Rappelons qu'il s'en sortait en supposant implicitement que les analystes n'avaient pas besoin d'analyse!!! Sans le dire aussi clairement.
Ensuite, il faut revenir sur les thématiques proposées dans ce travail, avant une conclusion bien passionnante. Le problème principal de Gérard Pommier, c'est qu'il bute sur une théorie de l'identification dont il fait un axe indépassable. C'est bien entendu un retour en arrière compréhensible après les horreurs incroyables provoquées par la théorie du désêtre de Lacan. Mais, d'une certaine façon, il en revient aux théories strictement freudiennes de l'ego psychologie, que Lacan dénonçait à juste titre, sans pour autant trouver une autre issue que ce malheureux désêtre. G. Pommier y revient de façon plus subtile, plus dynamique même que les freudiens, puisque la question se déplace chez lui de façon temporelle, ce qui est une avancée vers les directions que nous prendrons. Mais cependant il dessine ainsi une sorte d'analyse infinie, les symptômes suivant les identifications successives que le temps nous impose.
On voit aussi se dessiner peu à peu cette configuration curieuse, où une théorie de l'appareil psychique propose à la fois quelques solutions aux symptômes rencontrés, mais aussi détermine en grande partie la fin du processus vers une issue qui n'est rien de moins que la répétition de la névrose.
Notons d'ailleurs que Gérard Pommier est de ce point de vue aussi pessimiste que tous les auteurs que nous avons rencontrés, qu'ils soient freudiens, jungiens, ou lacaniens, ce qui signale qu'il y a encore du travail, puisque chacun constate cependant qu'il existe parfois des analyses réussies qui tiennent dans le temps!
Il est certain simplement qu'actuellement, on ne sait pas encore vraiment pourquoi, et on aura compris que c'est l'objet du présent travail, dont l'ambition est de proposer quelques pas supplémentaires dans cette direction.
Enfin, en conclusion, si l'hypothèse de Gérard Pommier est juste concernant le passage à l'analyste, on comprend bien que l'institution d'analyse va elle-même participer de cet équilibre symptomatique! C'est bien ce qu'on repèrerait dans l'ex Ecole freudienne, avec cet équilibre toxique entre le désêtre des analystes et l'hyper être, si j'ose dire du Maître, cette désaffectation progressive de l'étude de la clinique psychanalytique au profit d'une interrogation délétère, infinie et inefficace du désir de l'analyste, recouvrant des symptômes inanalysés du fait du passage à l'analyste. On se souvient, repètons-le, que Serge Lebovici partageait cette analyse, avec une conséquence différente puisqu'il suggérait alors que ne pouvait être analyste que ceux qui n'en avaient pas besoin, d'une part, l'autre part étant représentée par des pathologies dont la didactique n'était par définition pas poussée assez loin en raison de la collusion de statut..
La théorie de l'appareil psychique, la fin de la cure, et le fonctionnement des institutions d'analyse sont ainsi indéfectiblement liés. Cela reste vrai pour nous, même si c'est probablement plus difficile à apercevoir, puisque nous y sommes!!!
Ainsi, notons que Gerard Pommier fait partie d'Espace Analytique, institution qui comporte de nombreux gradus et nominations, dont celle d'analyste.
Se répète en ce lieu les apories abondamment décrites lorsque le travail autour du symptôme abouti à une identification à l'analyste, que ce soit directement chez les freudiens, ou indirectement à travers le statut de la nomination chez les lacaniens.
Il est d'ailleurs curieux de constater que les auteurs des statuts de cette association l'ont aperçu, mais sans en tenir compte, dans le paragraphe sur les auditeurs libres :
Une demande écrite devrait suffire pour l’inscription, évitant ainsi les effets imaginaires d’un entretien préalable auquel elle serait subordonnée. Il est néanmoins demandé aux auditeurs libres de se faire connaître et de rencontrer un membre de la Commission d’admission au cours de la première année suivant l’inscription. Curieusement, la prégnance de cet effet imaginaire bloquant l'élaboration du désir n'est absolument pas reprise par la suite quand il s'agira de la nomination des analystes..
On peut aisément supposer alors qu'une part du fonctionnement de telles institutions consiste à faire bloc ensemble autour d'une telle cristallisation imaginaire, fonctionnant très exactement comme le mythe du névrosé, et ne permettant pas qu'une analyse se termine dans ces endroits, par un désir singulier créatif en face du réel...
Lacan, donc dans "le mythe individuel du névrosé", en 1953, éclaire cela comme un fait de structure :
disons, pour schématiser les idées, que pour un sujet de sexe mâle, le problème de son équilibre moral et psychique est celui de l’assomption de sa propre fonction… en tant qu’elle est fonction donc d’une indépendance, moralement, psychiquement et éthiquement, qui est celle de l’assomption de son rôle en tant qu’il se fait reconnaître comme tel dans sa fonction… l’assomption de son propre travail au sens qu’il en assume les fruits sans conflit…sans avoir le sentiment que c’est quelqu’un d’autre que lui qui le mérite, ou que lui–même ne l’a que par raccroc…sans qu’il y ait de division intérieure qui fait que le sujet n’est en quelque sorte que le témoin aliéné des actes de son propre moi.
C’est la première exigence. L’autre exigence étant celle–ci : une jouissance qu’on peut qualifier de paisible, et d’univoque également, de l’objet sexuel une fois choisi, une fois accordé à la vie du sujet.
Eh bien, chez le névrosé, ce que nous voyons se passer, c’est quelque chose qui est à peu près ceci : chaque fois que le sujet réussit, ou vise, ou tend à réussir cette assomption de son propre rôle… au sens où le sujet assume ses responsabilités jusqu’à un certain point, devient identique à lui–même et s’assure du bien–fondé de sa propre manifestation dans le complexe social pdéterminé… c’est l’objet, c’est ce personnage du partenaire sexuel qui se dédouble, ici sous la forme de la femme riche et de la femme pauvre. (Dans l'exemple choisi, qui est le cas de l'homme aux rats.)
Et il suffit d’entrer, non plus dans le fantasme, mais dans la vie réelle du sujet pour toucher du doigt que ce dont il s’agit, c’est ce quelque chose qui est vraiment très frappant dans la psychologie des névrosés.
C’est tout particulièrement l’aura d’annulation qui entoure le plus familièrement pour lui le partenaire sexuel qui a le plus de réalité, qui lui est le plus proche, avec lequel il a en général les liens les plus légitimes, qu’il s’agisse d’une liaison ou d’un mariage.
Et d’autre part, un personnage qui dédouble le premier, qui est l’objet d’une passion plus ou moins idéalisée, plus ou moins poursuivie de façon fantasmatique, avec un style qu’on peut considérer comme analogue à celui de l’amour passion, et qui d’ailleurs pousse à l’identification réalisée dans le vécu effectivement de la façon la plus active, un rapport narcissique avec le sujet, c’est–à–dire un rapport effectivement d’ordre mortel.
Eh bien, ce dédoublement du partenaire sexuel, de l’objet d’amour, si on voit le sujet d’un autre côté, dans une autre face de sa vie, faire un effort pour retrouver son unité et sa sensibilité, c’est alors à l’autre bout de la chaîne relationnelle, c’est–à–dire dans l’assomption de sa propre fonction sociale… de sa propre virilité, puisque j’ai choisi le cas d’un homme…que le sujet voit apparaître à côté de lui, si l’on peut dire, un personnage avec lequel aussi il a ce rapport narcissique en tant que rapport mortel, personnage qu’il délègue à le représenter dans le monde et à vivre, qui n’est pas lui véritablement. Dans ce texte qui introduit à ce qu'il appellera plus tard la spaltung, s'ébauche aussi ce qui plus tard dans son œuvre fera jouer le mythe et le fantasme comme un couple social et individuel (on trouve ces deux versants dans l'Oedipe, par exemple) qui aura la même fonction : procéder au recouvrement, à l'annulation de cette faille chevillée au cœur même du sujet, vectrice d'un vrai désir, qu'il fait jouer dans ce texte entre père imaginaire et père symbolique, en quelque sorte trop loin l'un de l'autre dans l'exemple de l'homme au rat pour se nouer ensemble. Ce processus est alors au cœur de la névrose en même temps qu'au cœur de l'humain, dans une indifférenciation qu'on retrouve dans toute l'œuvre de Lacan. Ce qui en fait d'ailleurs un des intérêts majeurs de cet auteur. Cette cristallisation sur une identification imaginaire, qui fixe le désir dans cette dimension et l'annule dans le même temps dans son rapport à la réalité singulière du sujet est peut-être le même processus pour le névrosé désigné par Lacan et l'analysant qui se veut analyste, de surcroît avec la coupable complicité d'une "Ecole"..
Déconstruire mythe et fantasme, dans un mouvement lui effectivement sans fin, est alors une alternative à ces cristallisation imaginaires mythiques, comme être névrosé ou analyste par exemple. Cette déconstruction ouvre la voie au désir inventif, seul garant d'une vraie transmission. C'est ce qui se travaille à Alters, qui n'est pas, enfin encore pour le moment, une école d'analystes...
Il est possible que les écoles d'analyse soient alors des dispositifs mis en place pour éluder la fin d'une analyse, et les risques individuels et sociaux d'un désir inventif sans fin, mais sans fin également rebelle! En effet, bouger les mythes au niveau social et les fantasmes au niveau individuel n'est jamais une mince affaire...
C'est en tout cas la position de Jeanne Favret Saada, qui commence ainsi sa lettre de démission à l'école freudienne de Paris de Jacques Lacan en 1977.
EXCUSEZ, MOI, JE NE FAISAIS QUE PASSER
Le 22 mars dernier, j'ai quitté l'Ecole freudienne de Paris. Quelques semaines auparavant, une analyste de l'Ecole dont j'avais, depuis toujours, aimé la vitalité, le rire et l'insolence, s'était tuée peu après avoir été prise, comme tant d'autres, dans cette machine à mouliner les sujets qui se nomme la " passe ".
Pour moi, qui avais admis un moment de jouer un rôle dans le fonctionnement de cette machine, la mort de J. fut l'occasion d'un questionnement radical. Non pas seulement sur la passe, dont je pensais et disais depuis plusieurs mois qu'elle ne pouvait produire que des élèves, des morts ou des fous. Mais sur l'idée même d'une Ecole de psychanalyse, c'est-à-dire d'une institution destinée à transformer en élèves ceux-là mêmes - les psychanalystes - qui sont, en principe, intéressés à libérer la parole de chacun, à commencer par la leur propre.
Comme tant de petits rentiers de l'idéal, je m'étais jusque là arrangée de cette contradiction en silence : me tenant à l'écart des petits jeux du prestige et du pouvoir, refusant poliment d'enseigner au département du champ freudien à Vincennes, démissionnant moins poliment mais sans m'en expliquer sur-le-champ de la fonction de passeur. Je n'assistais plus aux congrès, ni aux journées, ni aux séminaires, ayant compris assez vite que si, dans cette Ecole, on peut tout dire, rien n'est jamais entendu qui ne soit la répétition du discours du Maître ou sa confirmation dans un champ nouveau mais limité. Les coups de gueule de tel ou telle sont, par avance, intégrés dans la liturgie ; et, à une prise de parole plus soutenue, il n'est jamais répondu que par le silence, l'isolement, l'interprétation sauvage et le mépris (" c'est une merde ", " il est nul "). J'étais donc membre de l'Ecole mais absente de l'Ecole, présente seulement à tels analystes chez qui j'avais reconnu un réel engagement dans le discours analytique.
La mort de J. est venue brutalement pulvériser ce petit confort de rentière aux mains propres. Je ne pus alors éviter de savoir qu'en adhérant à l'Ecole sans y regarder de trop près, j'avais admis qu'un analyste puisse être un élève, avec la conséquence que cela comporte : à savoir que le Maître-l'Ecole imaginent un système de garanties doctrinales qui en vienne à fonctionner comme une machine de mort.
Ayant peu d'espoir que cette machine soit supprimée et, moins encore, qu'aucune Ecole puisse jamais soutenir un discours analytique, j'ai donc choisi de démissionner de l'EFP - comme de toute institution analytique - dans une lettre où je dis les raisons de cette décision. On en trouvera ci-après le texte, qui porte exclusivement sur l'expérience que j'ai faite de la passe. Il me paraît néanmoins utile d'y introduire le lecteur en situant cette institution dans l'ensemble des mesures prises par l'EFP pour satisfaire à sa vocation d'Ecole, c'est-à-dire pour donner aux élèves la garantie de ce qu'ils sont bien tels. Qu'une Ecole soit nécessaire pour des psychanalystes, Lacan le justifie de ce qu'il enseigne la psychanalyse et donc, de ce qu'il y ait des élèves recevant cet enseignement " pour eux sans rival" (1). Lacan fut, en 1964, l'unique fondateur de l'EFP ; et, depuis lors, son unique directeur. Sur sa proposition, l'Ecole institua, en 1969, des titres garantissant aux élèves qu'ils relevaient bien de sa formation. L'inconvénient d'une telle proposition c'est que, jamais, des élèves - fussent-ils ceux de Lacan - ne sauraient être des analystes, c'est-à-dire des sujets qui s'autorisent d'eux-mêmes à penser, à parler ou à écouter.
Freud répétait souvent qu'on ne peut écouter un patient qu'à la condition d'oublier ce que l'on croit savoir, d'oublier la théorie constituée, quand bien même on en serait l'inventeur, et de se laisser surprendre dans ses certitudes par un trait inattendu dans le discours de l'analysant. Le travail de théorisation, s'il est toujours nécessaire, ne se peut faire qu'après coup, en prenant acte de sa propre surprise et en interrogeant, à cette occasion, la théorie constituée. De là les remaniements perpétuels de la théorie freudienne, comme de toute théorie psychanalytique. Il n'y a pas d'analyse, ni pour Freud, ni pour Lacan, ni pour quiconque, hors de cette invention perpétuelle de la théorie provoquée par le dire inattendu de l'analysant.
C'est pourquoi, s'il est essentiel, pour un analyste, d'étudier Freud, Lacan ou Dupont, ce ne peut être pour attendre le patient au coin d'un bois, armé du gros bâton de la théorie constituée, mais pour pouvoir oublier celle-ci et faire droit à l'inouï. On peut, si l'on veut, dire qu'un analyste est à l'école, mais seulement du dire de ses patients, lesquels le contraignent à mettre en question les théories constituées et à en inventer d'autres, moins insuffisantes" (2). Que l'enseignement de Lacan puisse être " sans rival "pour les analystes - c'est lui qui l'affirme, mais ses élèves en sont bien d'accord -, il faut donc y voir le signe d'une grande misère plutôt que l'annonce de lendemains qui chantent. Car la fondation d'une Ecole de psychanalyse entraîne inévitablement la défense et l'illustration de la théorie constituée par le Maître et une inhibition certaine, pour les élèves, à prendre le risque d'inventer la psychanalyse en leur propre nom.
Aussi faut il moins s'étonner de ce que cette Ecole en vienne à instituer un système de titres et de garanties - car c'est dans la logique même d'une école, sinon dans celle de la psychanalyse - que de la prétention, si souvent affichée à l'EFP, d'avoir enfin trouvé " la solution du problème de la Société psychanalytique " et d'en avoir terminé avec les effets d'identification imaginaire à son Chef qui s'y produisent immanquablement. Car si l'analyse permet, en principe, de se déprendre de ses identifications imaginaires, une Ecole fut-elle de psychanalyse - est précisément faite pour les produire et les reproduire indéfiniment.
Je voudrais simplement montrer ici que l'institution des titres et des garanties n'évite à l'EFP aucune des absurdités que Lacan avait, il n'y a guère, dénoncées dans d'autres sociétés de psychanalyse, car cette institution a pour unique effet d'assurer, à l'Ecole qui les distribue, la conformité doctrinale des élèves. Il est, à cet égard, frappant que les textes fondamentaux de l'EFP parlent plus volontiers de " doctrine " que de théorie psychanalytique.
Selon les " Principes concernant l'accession au titre de psychanalyste de l'EFP " (1969), s'il est bien entendu que l'analyste ne s'autorise que de lui-même, l'Ecole, pour sa part, se reconnaît le droit de garantir qu'il relève ou non de la formation lacanienne. A cet effet, elle peut lui conférer deux titres qui ont valeur indépendamment l'un de l'autre :
1) Soit celui d'Analyste Membre de l'Ecole (AME) ou praticien dont la " capacité professionnelle " est garantie par un " jury d'accueil " ".
2) Soit celui d'Analyste de l'Ecole (AE) ou théoricien dont la capacité d'élaboration théorique (ou " doctrinale ") est reconnue par un " jury d'agrément".
En clair, cela signifie que Lacan-l'Ecole considèrent comme allant de soi :
1°) qu'un praticien puisse être reconnu comme " ayant fait ses preuves ", qui ne théoriserait pas sa pratique ;
2°) que la qualité d'un travail théorique ait à être reconnue par un jury plutôt que, par exemple, par les lecteurs ou les auditeurs de ce théoricien.
Pourtant, qu'un titre de théoricien puisse ainsi être décerné par un jury où siège, de droit, l'inventeur de la " doctrine " de l'Ecole, cela ne peut manquer de fausser l'accès de chacun au nécessaire travail de théorisation : car ce titre fonctionne, dans l'imaginaire des élèves, comme une barre qu'il faudrait franchir, après quoi seulement l'on pourrait se dire théoricien. Je pense, au contraire, que la seule barre à franchir, pour théoriser l'inconscient, c'est celle du refoulement et que celle-ci, chacun, pour son compte, n'en finira jamais de la passer : car il y a un avant et un après de la levée de chaque refoulement particulier, qui conduit à une reformulation de la théorie ; mais aussi bien, parce qu'aucun progrès n'est jamais garanti dans la pensée d'un analyste et que rien n'est jamais gagné pour toujours sur le refoulement, des retours en arrière ou l'abandon de thèses intéressantes parce que l'on n'ose pas se risquer si loin.
De là vient que la théorie psychanalytique est, à la fois, l'exercice le plus difficile et la chose la mieux partagée du monde : il est impossible d'être un simple " praticien " soit un " pur clinicien " rebuté par l'abstraction, mais tout aussi impossible de recevoir d'un jury la garantie de ce qu'une élaboration théorique ait été gagnée sur le refoulement. Et la théorie de Lacan, pas plus que celle de Freud ou de quiconque, n'échappe pas à la commune condition : comme toute explicitation de l'inconscient, elle a ses limites, ses failles, ses fausses fenêtres et le travail théorique, pour un analyste, ne consiste pas à l'apprendre comme une leçon mais à repenser - à réinventer - la psychanalyse tout entière à partir de son propre repérage de l'inconscient. A ce travail, nul praticien n'échappe, qu'il le sache et le veuille ou non, et aucun jury ne saurait lui garantir qu'il l'accomplit sans défaillance.
La " passe ", qui fait l'objet de la lettre publiée ci-après, vient s'inscrire au cœur du dispositif des garanties instituées par l'EFP, puisque le titre de théoricien (AE, Analyste de l'Ecole) est ou non décerné aux candidats qui acceptent de " s'offrir "(5) à une expérience de théorisation de leur analyse personnelle. Celle-ci est destinée à fournir à l'Ecole - représentée, en l'occurrence, par un " jury d'agrément " présidé par Lacan - des matériaux pour élaborer une théorie de la didactique.
Il faut porter au crédit de l'EFP qu'elle ait mis au centre de ses préoccupations la question de savoir ce qui se passe quand la fin d'une analyse débouche, pour le patient, sur le fait qu'il devient analyste à son tour. Je voudrais toutefois développer deux critiques à ce propos : l'une, de principe, et la seconde, de fait.
1. Il est tout à fait improbable que la réponse à cette question cruciale, qui est aussi celle de la transmissibilité de l'expérience analytique, puisse jamais être apportée par une Ecole ou par une société de psychanalyse, quelle qu'elle soit, car les institutions psychanalytiques ne doivent leur succès ou leur survie qu'à la méconnaissance systématique des effets de transfert qu'elles provoquent.
Une cure psychanalytique, c'est, pour le patient, la position d'un transfert et la levée de celui-ci : la position d'un transfert, c'est-à-dire la supposition que l'analyste sait ce que j'ignore de mon propre fonctionnement et qui, si seulement je le pouvais savoir, me sauverait de la répétition où je m'épuise ; la levée de ce transfert, c'est-à-dire la découverte de ce que l'analyste était seulement supposé le savoir et que cette supposition m'a permis de répéter la série des fantasmes qui me déterminent. La terminaison de l'analyse, c'est de vérifier que l'analyste n'est pas mon père, ni ma mère, ni le docteur, qu'il est " rien " ou seulement le support artificiel de mes fantasmes. Le fait que, du côté de l'analyste, le moins possible de réalité vienne faire écran à la projection de la fantasmatique du patient, le caractère artificiel de la situation analytique est donc absolument indispensable à l'effectuation de la cure.
Or la chute du supposé savoir et, avec lui, de tout supposé, n'a de chances sérieuses de se produire que dans les analyses dites thérapeutiques, celles où il n'entre pas dans le projet du patient de devenir analyste à son tour. Car dans le cas contraire - celui de la didactique - le transfert et les fantasmes qui le soutiennent ne sont généralement pas levés, mais seulement déplacés de la personne du psychanalyste à celle du chef ou du maître d'école.
Celui-ci se présente régulièrement comme l'unique incarnation de l'esprit de la psychanalyse et il est soutenu dans cette prétention par ses élèves, qui sont incapables de dissocier le transfert sur la personne du maître de la " cause "(6) psychanalytique proprement dite ". Ce faisant, ils énoncent, en substance, ceci : ce que mon analyste était seulement supposé savoir, Lacan - mais aussi bien, Freud, Nacht ou Dupont - le sait, lui. Si je reste son élève et que je travaille avec acharnement dans les voies qu'il m'indique, si je conquiers les titres qu'il me propose d'obtenir, peut-être me dira-t-il un jour que je puis enfin le savoir, moi aussi.
Ainsi sont introduits dans le, procès analytique deux éléments de réalité, étroitement liés entre eux et qui font obstacle à la chute de tout supposé : d'une part, la personne du fondateur de l'Ecole ; d'autre part, l'institution psychanalytique elle-même, c'est-à-dire l'organisation des élèves. Aucune société de psychanalyse ne peut faire l'économie de ces deux éléments de réalité et c'est en quoi toutes sont foncièrement anti-analytiques : qu'on tente, en effet, de les supprimer, il n'y aura plus de société ; mais qu'on les maintienne, et il n'y a plus d'analyse terminable pour un psychanalyste. Restera donc à comprendre, si c'est possible, si une position d'analyste non symptomatique est envisageable, mais qui ne pourra se poser, on l'aura compris, que d'une autre théorisation de l'appareil psychique, et, du coup, dans une école d'analyste fonctionnant aussi autrement, et bien entendu sans nomination. On saisit mieux en tout cas que le fait qu'Alters ne soit pas qu'une école d'analyse, mais aussi un lieu anthropologique, soit une avancée importante par rapport à tout ce qui n'est qu'école d'analyse, si être analyste est toujours un symptôme.. et si l'ecole l'analyste empêche d'être analyste, comme le soutient Jeanne Favret-Saada..
Michel Levy , le 23/9/2015