Comment les systèmes logiques différents du vivant peuvent-ils correspondre ? Les apories logiques, sont-elles des obstacles, ou des promesses de nouveauté, évidemment bonnes ou mauvaises, c’est selon., pour les logiques qui s’y rencontrent ? Voilà ce dont parlent tous ces chapitres. Le corps et le lien social vont être les lieux de rendez-vous de ces conflits hétérologiques, plus ou moins mis à mal selon les occurrences et leurs durées. La parole reste le vecteur principal et le représentant de ces tensions, tout autant qu’un moyen d’information, ce dont la psychanalyse a pris acte à travers le concept de signifiant.
La pensée transcendante permet ces sauts logiques, ce qui situe la pensée analytique dans ce champ : en supprimant la dictature de l’objet réel, bien des systèmes de pensée deviennent neutralisés, reviennent à leur simple place circonstancielle, contextuelle. C’est ainsi que la force souvent aveugle du désir de vie, on ne peut plus concrète, peut être canalisée par l’acceptation de la mort, condition du symbole. C’est l’enjeu d’une vraie transmission qui se joue là. Un père, une mère qui refusent de mourir ne transmettent évidemment rien. Le fondement religieux , l’effort philosophique ne sont pas les seuls produits de cette alchimie où mort, symbole et transcendance se mêlent. La psychanalyse s’y joint, avec sa limite, qui est la souffrance d’un corps singulier, ce qui la différencie suffisamment de ses deux aînées tant pour sa pratique que sa théorie.
Le signe manifeste de notre univers hétérologique est donc l’existence de la métaphore, qui fait pont entre des systèmes logiques par nature hétérogènes.. De fait, la clé de l’adaptation, de l’invention, parfois de la guérison ou plus pragmatiquement d’une certaine sérénité ne tient-elle pas à ces mécanismes poétiques, métaphoriques, qui font qu’on va se mettre à préférer la poésie au poème lui-même, la pensée à l’objet de la pensée. Le poète est celui qui préfère sa mélancolie créative à l’objet aimé... « Le pouvoir de la métaphore est d'abord la création de sens par abstraction de caractères communs entre deux unités sémantiques déjà constituées. Le produit de cette opération métaphorique est un concept construit. Ce sens nouveau est nécessairement articulé à un signe doté de ses caractéristiques saussuriennes. Par le pouvoir de la métaphore la fonction nominative du langage, évidente à concevoir, se complète donc d'une fonction créatrice. Ceci implique, en accompagnement du sens nouveau, la formation d'une "image acoustique dédiée", autrement dit d'un signifiant[1]. »
Il est clair que plus cette invention signifiante sera loin de l’univers sensoriel, métonymique du sujet, plus la « spaltung », la division du sujet sera grande, et grand aussi le risque psychopathologique. Mieux vaut que l’univers métonymique ne reste pas trop loin du métaphorique…
C’est là précisément l’objet de la transcendance analytique, dont le champ d’application premier n’est donc pas tant l’univers signifiant, mais derrière lui, l’artistique, à travers ce qu’elle appelle la retrouvaille du désir. Le désir, par définition, est créatif d’une singularité, il est naissance d’un style. Il n’est pas d’incompatibilité entre l’univers des mots et la transcendance de l’art, par exemple dans l’art de la parole…
Correspondances, voyelles, ces deux poèmes de Baudelaire et Rimbaud, introduisent dans cette fin du 19° (qui voit éclater les formes artistiques du classicisme tant en littérature qu’en peinture, en musique et en science, avec la psychanalyse, et ses liens nombreux avec le surréalisme via l’association libre..) la révolution de la métaphore. A-t-on vu déjà qu’une des raisons de cette explosion sémantique tient à la lente diffusion du savoir, et l’arrivée d’une liberté de lire et d’écrire pour chacun, 400 ans après l’invention de l’imprimerie? C’est l’époque des journaux, après celle des « canards », la vraie explosion des valeurs de liberté de la république après les parenthèses napoléoniennes (tant le 1 que le 3…).. C’est l’époque (1881) de la première loi qui protège la liberté de la presse contre les attaques du pouvoir.
La métaphore, à cette époque, grâce aux combats des années et siècles précédents, met concrètement cette invention à portée de chacun, qu’elle soit artistique, linguistique, scientifique ou autre…Dès lors, les correspondances, les résonances vont faire vibrer les systèmes anciens de mouvements nouveaux, dans un remue-ménage où le sujet va s’y retrouver en réinventant la langue. L’affaire de l’homme, c’est de réussir sa folie disait F. Tosquelles. Donc, aussi, d’inventer sa langue, son style…
Sinon, voici revenu l’histoire de l’épinglage lacanien dans sa définition du signifiant, avec ce monde de mort, d’absence d’espoir, de perte du désir, qui désignait tristement ce qu’il appelait parfois le désir du psychanalyste…. C’est que manque à cette théorie lacanienne un aspect plus vivant, plus créatif du signifiant, tel qu’il est en fait constamment remanié par « l'inconscient conversationnel », et les inventions métaphoriques qui y sont liées.
Si le désir a un rapport évident avec le manque, et donc la loi, tel qu’il apparaît dans la métonymie[2], il se dessèche vite ensuite sans la création métaphorique..
Car le dialogue vivant, créatif, est précisément le vecteur le plus puissant de ces résonances métaphoriques sans lesquelles nulle vie psychique humaine n’est possible : lorsque les mots ne signifient plus qu’eux-mêmes, on est dans le trait psychotique… Lorsqu’au contraire ils organisent les puissantes forces synergiques et antagonistes des rencontres logiques hétérogènes dans lesquelles nous baignons, ils sont alors la trame même du remaniement constant qui nous maintient dans l’humain. On comprend alors que surprises, métaphores et poésie soient les fondements du vrai dialogue humain, seules conditions pour que nos raisons ne deviennent pas des dictatures rigides.
Ainsi, dans le livre précédent, à partir du travail de Francis Jacques sur la structure logique du dialogue, il était apparu que pour que ce dernier existât, il fallait que les référentiels de chacun des sujets puissent être suffisamment mobiles pour se réaménager en fonction l'un de l'autre, glisser sur des sens remaniés. On a remarqué que l'univers théorique de Lacan, sous tendu par la notion de l'épinglage signifiant (c'est à dire un signifiant absolument fixe et inamovible), n'est pas compatible avec cette théorie du dialogue. L'inconscient lacanien devient une espèce de logique propre au signifiant, largement indépendante de l'univers pulsionnelle du sujet, espace vide dans lequel le désir ne peut déployer sa liberté. En fait, Lacan fut victime d’une illusion d’optique, puisque cet univers signifiant fixe et indépendant du sujet est précisément celui du symptôme, névrotique, pervers ou psychotique. Sa découverte majeure fut d’en montrer la structure dans le langage même du sujet souffrant, ouvrant la voie d’un travail de silence et d’interprétation beaucoup plus précis dès lors qu’il s’en tient rigoureusement à ce qui est dit par le patient dans les formations de l’inconscient : lapsus, oublis, fin de phrases tronquées, rêves etc...
C'est la raison pour laquelle Lacan disait qu'il n'y avait qu'un seul transfert, mais pas de contre transfert, dans la mesure où la relation à la structure fixée du signifiant vaut tout autant pour l'analysant que pour l'analyste, ce dernier ayant simplement la possibilité de l’entendre, contrairement au patient.
Cependant, lorsque l’analyste s’en tient à cette hypothèse, l'interprétation n'est là que pour ôter au patient l'illusion de toute idée d'un désir lié à la conversation… Pas de métalangage, soutenait-il. Le désir n’est autre alors que le produit du désinvestissement libidinal du signifiant, ainsi barré, et voué à un renouvellement continue de sa désaffection, contrairement au signifiant maître du fantasme ou de la névrose, investit, lui, de sa toute puissance… Et c’est ainsi que le désir symptomatique finit désêtre… La théorie de Lacan permet la conduite d’une analyse, c’est à dire la déconstruction d’un symptôme, il n’autorise pas la fin d’une analyse, à savoir l’invention d’un style, d’une originalité, ce que démontrent à l’envie le spectacle des commentateurs zélés piégés entre désaffection et toute puissance…
Pour moi, bien au contraire, cette dimension conversationnelle existe, et est même une nécessité pour que le désir devienne création, liberté, ce dernier terme étant naturellement absent du vocabulaire lacanien. Il est une troisième voie entre désêtre et jouissance mortifère…On peut s’aider pour comprendre cela de la théorie lacanienne de la psychose. Que le signifiant maître ne soit pas identifiée à un désir concret parental est l'enjeu de ce que Lacan appelle la forclusion. Il s'agit là que l'Autre soit castrable afin qu'un sujet ne soit pas psychotique. L’autre n’est alors pas identifié à un discours tout puissant qui sinon serait posé au-delà de tout désir subjectif. Dès lors que ce discours parental n’est pas tout-puissant, alors la division du sujet existe. Entre ce qu'il croit être dans ce qu'il dit, pour autant que c'est partagé par une tradition familiale, toujours rigide par définition et ce qu'il n'est pas (en qu'il éprouve là une vérité forcée pour lui sur bien des plans inconscient), peut se situer un doute parental salvateur.. Alors la coalescence complète entre l'aspect tout puissant du signifiant et le déroulement de l'imaginaire ne se fait pas et le trait psychotique ne s'inscrit pas. Si tout cela est connu, on dit moins que la condition fondamentale de ce mécanisme est précisément la métaphore : elle témoigne d’un jeu possible aux limites des systèmes rigides, elle articule l’hétérologie fondamentale du monde.
J'ai déjà écrit ailleurs que je ne partage pas l'opinion lacanienne que le processus inverse soit une forclusion (définitive par définition), puisqu'à mon avis se produit alors une pression qui n'attend qu'une contre pression pour évoluer souvent positivement. En effet si l’univers signifiant est tout-puissant vis-à-vis d'un sujet, il y faut une pression constante vis-à-vis des manifestations du corps, qui sait bien, lui, que ces effets de vérité ne correspondent pas à ce qu'il ressent, à ce qu'il vit. Cette surpression de l'effet signifiant absolu d'un autre incastrable crée un symptôme, en fait une métaphore en souffrance, qui n'attend qu'un milieu susceptible d'entendre cette trop forte influence signifiante pour que les choses évoluent différemment : c’est ce qui se voit dans la clinique, en particulier la clinique de l’enfance.
La description lacanienne d’une clinique de la forclusion aboutit à une forme d’impasse, où quelque chose finit par tourner en rond, comme le montre bien la théorisation moebienne à laquelle il arrive. Dans cette théorisation, le sujet tourne en rond autour de la vérité, en raison de l’identification constante chez Lacan entre le signifiant et le trait unaire. Le signifiant chez Lacan est toujours un avatar du trait unaire, il en est directement issu, et encore largement imprégné. Il reste dans sa théorie aussi fixe qu’un trait de séparation, aussi radical qu’une coupure, et ne devient jamais un univers changeant de représentation, évoluant au gré des modifications subjectives que vivent les sujets au fur et à mesure de la vie. Tout signifiant est en réalité porteur d’un univers poétique, vital pour le sujet, sauf dans le trait psychotique et la théorisation lacanienne..
S’il y a une présence indiscutable et tranchante du signifiant au départ de la vie, il existe aussi, toujours, une évolution métaphorique constante et subtile de ce signifiant en rapport avec l’être. Si le signifiant tranche effectivement la vérité en deux, il représente aussi le désir du sujet, et se remanie en fonction de cela. L’invention de la langue est le fait de chaque sujet singulier, et un sujet qui n’invente pas sa langue développera des traits psychopathologiques. En réalité, si on veut reprendre cette métaphore de la bande de Moebius, d’un tour à l’autre, la largeur, la forme de la bande varie, l’objet ne reste donc jamais le même. A chaque tour, la bande de Moebius devient autre, se sculpte peu à peu, et devient ainsi singularité..
En reprenant cette extension de la théorie de Lacan qui rend plus vivante la structure du signifiant, on se rend compte que la structure conversationnelle, loin d’être un espace où rien ne se dit du sujet, et de son désir, est au contraire un laboratoire d’invention de soi-même, constamment remanié, dans lequel les dimensions hétérologiques de l’inconscient se remanient à chaque fois.
De fait, si on a parfois du mal à trouver un signe clinique constant et pathognomonique dans un trait psychotique, c’est beaucoup plus facile si on s’intéresse à la clinique de la conversation des patients pris dans des moments de ce genre. C’est tout bonnement qu’il n’y a pas de vraie conversation, avec remaniement de l’univers signifiant de chacun des deux protagonistes, au cours et à l’issue de ce dialogue. La bande moebienne tourne sur elle-même dans une coalescence très serrée, stérilisée par des signifiants tout-puissants, de sorte qu’elle ne s’enrichit plus de rien, et ne se transforme pas en chemin pour le patient, hormis la présence du symptôme.
Pour être plus concret, prenons l’exemple de la plus banale des conversations. Je demande par exemple hier soir à un ami s’il connaît le raccourci mis en place récemment, et qui permet d’aller de Figeac à Brive plus rapidement. Cet ami m’indique l’information en question, ce qui m’amène à lui répéter ma question, puisqu’il me donne une indication que je ne me représente pas du tout, pour autant qu’elle est contraire au souvenir que j’ai de l’endroit en question. Il m’assure alors de la réalité du changement en ce lieu, qui modifie dès lors la représentation mentale que j’en avais.
Je fais mon trajet, et trouve effectivement les indications de mon ami.
Chemin faisant, si je puis dire, et sans que l’on ne s’en rende compte, deux événements psychologiques complexes se sont déroulés : tout d’abord, il a fallu que je modifie ma référence interne d’un lieu déjà connu, en faisant confiance en cette personne qui modifiait ainsi mon univers interne. La confiance en l’autre est là la condition forte de la possibilité de ce remaniement. Il a fallu aussi que mon interlocuteur mette en doute sa certitude, se mettant à ma place, puisqu’il a bien vu que dans un premier temps je n’avais aucune représentation de ce qu’il m’annonçait. Il lui a aussi été nécessaire de questionner son propre référentiel, de façon à mieux traiter mon hésitation : il a fallu qu’il se demande s’il y avait une possibilité que je ne vois pas le panneau, se mettant à ma place, venant en quelque sorte à l’intérieur de mes propres représentations, laissant un instant les siennes de côté. Il en déduisit que je ne pouvais pas ne pas le voir, et la conversation se clôtura là-dessus. Mon ami est presque sûr que je ne peux pas me tromper, et il est rassuré. Moi-même, je suis à peu près certain que tout va bien se passer, et j’intègre donc ce nouveau référentiel à mon idée du trajet.
A partir du moment où je suis rentré dans cette nouvelle représentation, cette nouvelle logique subjective simple est basée sur un point extrêmement important, qui est la confiance que je peux porter à mon ami, à sa pertinence spatiale. Cette confiance est très exactement l’axiome qui soutient tout le reste, et sans lequel rien d’un remaniement logique n’aurait été possible.
Le doute que je pourrais avoir de cette confiance, cette confiance elle-même d’ailleurs, présente une face inconsciente, puisqu’à aucun moment elle n’est évoquée dans la conversation concrète. Les signifiants cachés derrière cette affaire de confiance sont : est-il compétent, a-t-il une bonne mémoire spatiale, est-il dans une ambivalence inconsciente à mon égard qui peut l’amener à faire une erreur inconsciente, etc, etc..
Tous ces éléments sont inconscients dans la communication, en tout cas absents concrètement de cette dernière. Ils peuvent parfois être fugacement présents consciemment dans la pensée de l’un ou l’autre, ou vite refoulé en raison de la force du lien, ou de l’intérêt prioritaire de l’information, qui va faire « oublier » tel ou tel signe non compatible avec sa pertinence.
On retrouve ainsi dans une simple conversation la base inconsciente, axiomatique, les éléments conscients, c’est à dire les mots échangés, les éléments préconscients, qui sont les hésitations, les phrases incomplètes, d’éventuels lapsus. On suivra beaucoup plus quelqu’un de clair et net dans sa présentation que quelqu’un qui bégaye…
Réciproquement, le changement de référentiel de mon ami, qui a permis l’échange, a été cet instant où il a laissé tombé ce qui était évident pour lui pour entrer un moment dans mes représentations personnelles.
Ainsi, au fur et à mesure de nos rencontres humaines, se créent et se reconstruisent nos structures signifiantes, constamment prises dans le jeu de nos relations, dans les plaisirs et déplaisirs qui y sont reliés. Le réservoir métaphorique inconscient qui reste à la base de tous les discours qui nous habitent est ainsi modifié à chaque rencontre, à condition que le référentiel profond de chacun puisse être modifié à un moment ou un autre. C’est en résumé ce que j’appelle une logique subjective. Il est probable que les traits de personnalité narcissiques et paranoïaques échappent pour une grande part à ce qui est décrit ici…
Comme les logiques formelles, les logiques subjectives sont dépendantes d’axiomes, qui à la fois conditionnent leur existence et marquent leurs limites. Mais, contrairement aux premières, les secondes disposent de l’outil puissant de la métaphore pour jouer de leur existence et de leurs limites. Les logiques formelles, elles, ne connaissent que la catastrophe lorsque leurs frontières sont atteintes…
On a vu aussi, à travers l’exemple donné, que les axiomes des logiques subjectives sont les fruits du dialogue. C’est dans l’échange vivant que se remanient les assises conceptuelles de la pensée, dans ce besoin fondamental de l’autre pour accéder à notre désir, qui se renouvelle dans tout dialogue… Cet autre restant irréductiblement singulier, seule la métaphore permet le lien constructif d’un univers à l’autre, elle seule permet de concilier distance radicale et proximité nouvelle…
Voilà qui ouvre une description nouvelle du transfert, et permet de comprendre qu’il en existe en fait deux : de la même façon que Freud parlait de construction en analyse, on peut poser l’existence d’un transfert de construction, et d’un transfert d’analyse. Les chinois disent qu’il n’est rien de pire que d’expliquer à quelqu’un ce qu’il peut découvrir. On pourrait ajouter qu’il n’est rien de pire non plus que de ne pas fournir à quelqu’un quelque chose qu’il ne pourra jamais trouver lui-même. Ces deux dimensions définissent les deux aspects du transfert, qu’on a intérêt à avoir bien clairement en tête : le transfert de construction, et de déconstruction.
On peut poser que la théorisation lacanienne a poussé à son extrême, de façon souvent fort pertinente, le transfert de déconstruction, celui qui permet l’analyse d’une histoire. Grâce à l’absence de réponse conversationnelle, à travers les accidents du discours d’un patient, les traces axiomatiques qui ont provoquées des inscriptions signifiantes pathogènes sont ainsi analysées, repérées. L’hétérologie fondamentale dans laquelle baigne le sujet est ainsi reconstruite, repérée, les métaphores fondatrices sont démontées. C’est l’absence de réponse dialogique de l’analyste qui permet le déroulement des systèmes axiomatiques du patient, qui cherche, lui, cette réponse, et par cette recherche, dévoile ses structures inconscientes. On voit bien qu’un dialogue proposé par l’analyste couperait, alors, le déroulement de l’analyse…
Par contre, les nombreux éléments de transfert de construction ne sont pas pris en compte dans cette théorie, alors qu’ils existent dans toutes les cures d’analyse. Ce sont tous ces éléments d’interprétations par lesquels l’analyste va amener au patient quelque chose de nouveau pour lui, constants dans toute cure. Il faut bien admettre, à la lecture des séminaires de Lacan, que la théorie et la pratique de l’interprétation de construction sont les grands points faibles de la théorisation lacanienne. Rien n’y est dit du processus de reconstruction métaphorique dans la cure. Le plaisir de la relation, la qualité du lien sont alors les conditions fortes de son effectuation.
Il est donc deux types d’interprétations principales : celles qui portent sur la structure du discours du patient, lui permettant d’avancer dans l’exploration de la place du discours inconscient dans sa propre parole, dans une déconstruction de son histoire, et les interprétations de construction, qui vont en fait élargir le champ du possible pour une pensée, dans un mouvement de reconstruction narcissique.. En fait, il s’agit que se modifient les résonances métaphoriques entres les systèmes hétérologues qui font pression sur le sujet, dans le sens d’une restauration progressive de son désir profond, de son style.
Le maniement de ces deux plans est extrêmement délicat, puisque l’un empêche en fait l’autre de fonctionner… C’est sans doute dans le transfert obsessionnel que cette hétérologie du transfert est la plus délicate à gérer. Proposer une interprétation de construction alors qu’une déconstruction est nécessaire, c’est proposer à quelqu’un de souffrir encore plus qu’il ne souffre… C’est aussi la raison pour laquelle les cognitivistes ont probablement plus de suicides que les autres pratiques, ce qu’on découvrira probablement lorsque cet item sera recherché.
Mais, à l’inverse, proposer une interprétation analytique là où au contraire une ouverture du possible est recommandée, c’est proposer à quelqu’un de rester dans sa névrose.
Ce qui permet de s’orienter d’un côté ou de l’autre de l’interprétation se situe du côté de la souffrance : tant que la souffrance est aiguë, ce qui est requis est du versant de l’interprétation d’analyse. Le patient souffre toujours de ne pas pouvoir avancer, on ne va pas lui proposer d’avancer encore plus, alors que tous les freins sont à leur acmé… La souffrance ne peut qu’augmenter en proportion.
Par contre, dès que la souffrance diminue, voire lorsqu’elle disparaît, les interventions de construction, d’ouverture des possibles peuvent prudemment être mises en place, au fur et à mesure que le patient semble les demander, et dans une limite minimale extrêmement centrale du point de vue de l’éthique de l’analyse. Le proverbe chinois cité plus haut doit là revenir à l’esprit, et mieux vaut entendre les nouveautés que le patient est capable maintenant d’intégrer à sa vie, que de le mettre en position d’élève de son analyste, ce qui maintient sans doute l’inflation narcissique de l’analyste, mais au détriment de la capacité d’invention de son patient. Compte tenu de ces restrictions fort importantes, il faut tout de même savoir ouvrir ces univers de possible nouveaux sans lesquels le psychisme ne peut évoluer… Mais il convient que reste présent à l’esprit de l’analyste que c’est plus la rencontre avec le monde ouverte par l’analyse qui permet cela, que la rencontre réelle avec l’analyste, qui, si elle cultive trop cette voie de la reconstruction, ouvre à la pratique scélérate de gourou ou de prosélytisme d’école, ce qui n’est guère différent..
Concrètement, cette reconstruction des possibles dans l’univers du patient, pour éviter qu’elle ne rencontre la demande narcissique de l’analyste, donnant ensuite des effets de groupe ingérables, nécessite la même rigueur lacanienne que celle vue plus haut : à l’analyste l’unique charge de ne reprendre que les éléments désirants présents dans la parole du patient… mais dans le sens de la reconstruction, cette fois, et non plus de l’analyse.
Beaucoup d’analystes sont extrêmement rétifs à cet aspect finalement un peu pédagogique du transfert thérapeutique… Je les comprends aisément, mais, en même temps, certains de nos patients sont tellement démunis du côté de la transmission, dans des difficultés sociales telles, qu’on doit, me semble-t-il, réamorcer parfois la pompe du remaniement signifiant, dialogique, dans l’analyse. A l’analyste de savoir se limiter là au minimum, dans l’ambition que son patient s’ouvre par là à une pratique sociale simplement indiquée comme possible au sein du transfert analytique. Mais son vrai lieu d’épanouissement reste alors la pratique sociale, rendue à son importance par le trajet analytique.
Dans ma pratique, d’analysant et d’analyste, et dans mes conversations avec mes collègues, comme dans mes lectures, je n’ai jamais vu que ces deux plans ne soient continuellement présents.
Il est certain que les praticiens formés à la psychothérapie d’enfant et d’adolescent sont beaucoup plus sensibles à cet aspect du transfert. Il est en effet évident chez eux que rien ne peut se faire sans une part d’engagement, de participation, de sympathie active. L’engagement transférentiel avec les adultes comporte en fait les mêmes demandes reconstructives, que l’on apercevra plus facilement si on a une formation en psychothérapie d’enfant. Il n’est pas rare que les pédopsychiatres analystes voient venir à eux des demandes d’analyse adulte motivées par le fait qu’ils soient aussi pédopsychiatres…
Pour autant, cet engagement du thérapeute dans un plaisir commun de construction ne doit pas dépasser les limites du désir du patient, énoncé par lui, qu’il soit enfant, adolescent ou adulte, pas plus qu’il ne peut se manifester sous forme de conseils directifs, sous peine de stériliser immédiatement le travail du désir, et donc de faire échouer le traitement…
Clarifier ces deux plans transférentiels permet l’espoir que le repérage en soit plus net. Mieux vaut savoir ce qu’on fait quand on le fait…. La clé centrale est que c’est la souffrance qui va orienter vers l’un ou l’autre plan : plus elle est forte, plus on est au cœur de l’influence inconsciente extrêmement toxique qui bloque tout le système psychique.
Reste, quand la décrue de la souffrance le permet, cette reconstruction à venir. Michaël Guyader, dans une pétition qui circule cette la politique de la peur, semant la violence, qui structure actuellement le milieu politique gouvernemental, rappelle cette phrase de Lacan : « L’homme moderne est voué à la plus formidable galère sociale que nous recueillons quand elle vient à nous . C’est à cet être de néant que notre tâche quotidienne est d’ouvrir à nouveau la voie de son sens, dans une fraternité discrète, à la mesure de laquelle nous sommes toujours trop inégaux »
On ne saurait mieux écrire, à travers ce terme de « fraternité discrète », déclinaison plus heureuse de la célèbre « neutralité bienveillante », ce que doit être ce plan de reconstruction métaphorique qui traverse toute analyse….
Bien entendu, dans ce travail de reconstruction, on crée des inconscients, dialogiques, liés à l’analyse elle-même. La vigilance s’impose pour que l’analyste soit lui-même attentif aux effets indirects de ces axiomes subjectifs créés de toute pièce par ses « conversations » avec le patient, de sorte qu’il puisse avoir une capacité de remise en cause personnelle suffisante pour aider son patient à s’extirper de certaines conséquences parfois un peu lourdes de cet aspect constructeur de l’analyse.
C’est là comme ailleurs dans l’après coup qu’on constate la pertinence des propos tenus. Ils ne le sont pas s’ils provoquent un collage à l’analyste ou son école, ils le sont s’ils permettent une ouverture pour le patient dans son propre champ social, différentié de celui de son analyste. L’éthique de l’analyste est là convoquée, pour qu’il ne soit pas tenté de recouvrir ses propres failles narcissiques par un endoctrinement de ses patients, dans des restes transférentiels utilisés, alors consciemment ou non, à entretenir la névrose ou le trait narcissique de l’analyste.
On voit bien en tout cas, dans ces deux types de transfert, à quel point la qualité de la relation, son plaisir même, est un élément important de succès. En effet, dans les moments de transfert analytique, de déconstruction, le patient va être de plus en plus fragile, pour autant que les structures nouvelles ne sont pas encore créées, l’avancée narcissique n’ayant pas encore repris. C’est le moment de l’analyse le plus difficile, le plus vulnérable, où le patient va être le plus dépendant du transfert. Il acceptera cette déconstruction d’autant qu’il se sentira en sécurité, respecté, et aussi d’autant qu’il sentira une possibilité de reconstruction exister, non pas à l’intérieur du lieu analytique, mais impulsée par lui. En dehors de ce plaisir de lien, rien ne se passera, voire une aggravation se produira, puisque le patient laissera tomber ses défenses, avançant alors nu dans un univers trop froid, craintif ou anxieux du côté de l’analyste.
La qualité du lien est, constamment, ce qui va permettre à un sujet d’avancer, de remanier son univers symbolique grâce à l’invention de nouvelles métaphores. Cette donnée est évidente pour le départ de la vie, ce que montrent toutes les avancées de la pédopsychiatrie, malgré les reculs actuels d’une certaine neuropédiatrie prenant l’organique comme cause… C’est dans le lien que se développent un cerveau et une pensée, et non seulement en raison d’un génome dont on sait maintenant qu’il n’est rien sans l’environnement…
Cela reste vrai tout au long de la vie, à travers ce que tous les praticiens de l’humain observent dans les effets cataclysmiques d’un déni de l’importance du lien social. La pratique analytique fait partie de ce lien social, il convient de ne pas l’oublier sous prétexte que certaines pathologies, telles l’hystérie, peuvent être liées à un excès de ce lien…
A l’hétérologie naturelle qui baigne le milieu humain, sans cesse l’usage de la métaphore réponds, de sorte que la discontinuité reste vivable, que la métonymie ne soit pas trop loin… C’est la responsabilité centrale de tout dialogue, fût-il à la limite même du dialogue, comme dans l’analyse, par nécessité.
Un mot, à ce propos, sur les ravages des « explications » organiques simplistes des troubles instrumentaux et comportementaux des enfants et des adultes qui font florès actuellement. Le grand avantage de la science, même quand elle se fourvoie, est qu’elle se remanie elle-même au fur et à mesure que les résultats expérimentaux se font (parfois difficilement…) jour. C’est ce qui est en train de se passer avec la neuro-pédiatrie : des médecins, pédiatres, neuro-biologistes, sont en train de montrer les traductions neuro-anatomiques de ce que j’appelle des logiques subjectives. Ils montrent que le cerveau en tant qu’organe prend sa forme et sa fonctionnalité en fonction des interactions humaines qu’il traverse. Ainsi, le Dr Allan Schore[3] critique l’idée d’une auto organisation cérébrale, et montre la nécessité d’une interaction de qualité pour que l’organe cérébral lui-même trouve et son anatomie et sa fonctionnalité. La clinique du traumatisme précoce et celle des personnalité borderline s’éclairent alors d’une spécificité dans l’organisation cérébrale en rapport avec les troubles constatés : les traumatismes précoces et répété induisent une hypertrophie relative du cerveau droit, et une dérégulation du système limbique. Les émotions dominent alors chez le sujet, en même temps qu’une mauvaise reconnaissance des émotions des autres : la voie est ouverte à une possibilité de comportement psychopathe ou borderline… Une neuro-psychanalyse est donc née aux USA, dont les apports sont inverses de ceux de ce qu’on peut appeler les début de la neuropédiatrie… Rien ne s’explique par un trouble cérébral originel, tout se comprend et se développe par une interaction structurante et constante entre contexte et organe.
En réalité, le pas en avant est considérable : il montre comment la relation humaine façonne le corps même des êtres, évidemment d’autant le sujet est jeune. Mais le dr Lemoine[4] a montré des effets du même ordre chez l’adulte, de même que les suites neuro fonctionnelles de certaines psychothérapies ont été démontrées.
Le fait est donc acquis, même s’il mettra quelque temps à se diffuser, comme c’est normal : lorsqu’on se parle, lorsque nous sommes en relation, nous modifions physiquement nos corps… Parler à quelqu’un, c’est provoque un affect du corps, qui va le modifier plus ou moins profondément. On aura reconnu au passage Spinoza, décidément grand précurseur dans ces domaines.
Quelle est l’ampleur du pas que la science nous permet ainsi de faire, et quelle est aussi sa limite ? Les deux questions importent autant l’une que l’autre.
On peut mesurer les effets positifs de ces avancées dans les travaux et l’engagement du Dr Chicoine[5], au Canada. Ce pédiatre, au vu des travaux précédents, et de beaucoup d’autres de la même veine, part en guerre contre certains modes de garde des enfants dans les crèches et garderies. Il milite pour que les relations entres les enfants et les adultes qui les gardent soient stables et de qualité, luttant contre la multiplicité des référents, contre les maltraitances discrètes mais répétées, les séparations trop fréquentes, etc… Ses arguments sont désormais de nature neurologiques, expérimentales, ce qui, outre sa personnalité, explique l’audience grandissante dont ses travaux sont l’objet. Les travaux d’Allan Shore, via des praticiens comme le Dr Chicoine[6], sont en train de changer la donne autour des modes de garde des tout-petits, en montrant de degré d’implication, de calme, de compétence et de stabilité qui sont requis dans les relations pour que l’enfant se développe convenablement, y compris au niveau cérébral.
Un autre effet positif est moins aperçu, mais pourtant fort important : il permet de référer la répétition du symptôme non plus à une quelconque pulsion de mort, mais plus simplement au frayage neuronale… Si les symptômes se répètent, c’est qu’ils sont aussi le corps même de nos patients !! Dès lors, ce que nous appelons l’échec de la fuite dans la guérison, dont chacun connaît le risque considérable, s’éclaire brusquement : on ne modifie pas un cerveau, une histoire, simplement parce qu’on veut (patient et thérapeute) guérir… On ne modifie rien rapidement, par l’effet magique d’un besoin de moins souffrir ou de prouver son narcissisme de thérapeute…
Ces découvertes valident et expliquent en fait la durée souvent longue des analyses et thérapies : il faut du temps, beaucoup de temps, pour modifier un corps et un esprit. Notre patience sera souvent récompensée, et est en tout cas validée par ces nouvelles approches des neurosciences : l’anatomie cérébrale n’est pas stable, mais reste liée aux changements de relations vécus par le sujet, tout au long de la vie, même si cet effet est d’autant plus fort et déterminant que le sujet est jeune. La singularité du corps humain est ainsi attestée d’une preuve de plus, donnée par la neurobiologie, qui indique au passage que le cerveau est aussi une véritable archéologie de ce qui a été vécu, au niveau organique, comme l’esprit l’est lui-même, au niveau signifiant….
La qualité, la fiabilité de nos relations sont ainsi, tant pour la pratique du transfert thérapeutique que pour toute autre lien, ce qui fonde une pensée et un corps apte à fonctionner et inventer sa vie…
Quelles en sont les limites ? Il est clair que le concept de désir en psychanalyse, tel qu’il a été introduit par Lacan, est d’une autre nature que ce que véhiculent les neuropsychanalystes tels qu’Allan Shore.
Spinoza, même s’il employait rarement le mot, le posait comme la capacité de se déprendre d’une cause externe à son malheur, pour investir l’accroissement de son savoir. Notons qu’il ne s’agissait pas d’investir le savoir, mais bien son accroissement (la limite de Spinoza est précisément là, dans cette idée d’accroissement du savoir, qui ne permet pas toujours le remaniement, plus fondamental)… En réalité, il assimilait le désir à la conscience. La conscience n’étant rien d’autre que l’évidence que quelque chose d’autre que soi détermine la possibilité d’effectuer nos pulsions. Cette extériorité de la condition d’être nous-même amène à la transcendance, à l’exploration du monde et du monde de l’autre. C’est cette extériorité qui nous amène à devenir nous-même, dans un mouvement continu, tant que la vie nous anime. On retrouve là la métaphore.
Il est donc question, dans le désir, de pensée dynamique, de remaniement du savoir, dans le système symbolique humain, des pulsions du corps et des apories de la culture, via l’invention métaphorique
Alors, cette irréductible différence entre soi et les autres, entre les systèmes culturels, entre les sujets et les collectifs, voilà précisément l’objet du désir. Ce devrait pouvoir continuer à être l’objet de travail de l’analyste, avec l’éclairage passionnant des neurosciences, mais la limite de cette écoute singulière d’un esprit et d’un corps. On voit qu’on est fort loin de toute préoccupation neurobiologique de réduire un symptôme, ce qui revient en fait souvent à supprimer une singularité pour opposer une norme avec l’effet de violence qui s’ensuit, et qu’on constate à l’envie dans nos société.
Il est hélas clair que la neuropsychanalyse américaine véhicule cette idée de réduction à la norme, qui est la première violence sociale, et le risque principal de répétition traumatique chez ceux qui l’ont déjà éprouvé dans leur âme et leur chair… Toutes les violences parentales sont générées par un violent désir de réparation et de lien de la part de ces parents. C’est ce que la neuropsychanalyse risque de proposer, si elle ne s’inscrit pas suffisamment dans cette dimension fondamentalement métaphorique du désir humain, tel qu’il fut avancé par Spinoza et Lacan, entre autres.
Toute tentative de réduire un symptôme est traumatique, en rajoute sur le traumatisme, car elle se fait au détriment de l’écoute de la singularité du sujet, qui est le seul moyen authentique d'aider à la restauration de la capacité inventive de l’esprit et du corps de quelqu’un.
Ramener quelqu’un dans une norme éloigne de la qualité de lien nécessaire au développement d’un être humain. Norme et sujet doivent rester en relation mutuelle, en mutuel remaniement, respect, si on veut que quelque chose bouge, tant au niveau individuel qu’au niveau social. Ceci explique et valide en même temps la préoccupation lacanienne d’en rester au niveau de la parole concrète du patient pour tout le travail de l’inconscient, que ce soit d’analyse ou de construction. L’éthique de l’analyste le protège alors de sa propre violence projective normative, et maintient un espace de remaniement réciproque chez le patient comme chez l’analyste… Si le transfert est lien constructif, il est aussi distance et séparation, respect de la différence inaliénable de l'autre, par où il finira par s’effectuer..
Terminons ce paragraphe par un paradoxe stimulant : c’est bien en restant suffisamment (au sens de la mère suffisamment bonne inventée par Winnicot…) au chevet du désir naissant d’un enfant qu’on l’aide à se développer, ce que la neurobiologie montre clairement à travers son exploration des impacts sur le cerveau des concepts d’attachement, de permanence, de séparation traumatique ou non, etc. Plus que de vouloir imposer une norme à un enfant, c’est bien de l’accompagner dans une réalité où norme et sujet sont suffisamment en dialogue fiable et de qualité qui fait l’efficacité d’une rencontre. Pourquoi en serait-il autrement chez l’adulte ?
Le désir sera toujours à la croisée entre la norme et les pulsions individuelles, repérable dans ce hiatus que Lacan a bien montré entre discours constitué et parole, entre langue et expression. Le désir est à la croisée des pulsions et des normes, dans leur enchevêtrement hétérologique, via la métaphore.
Sur ce point, la recherche de prévisibilité, qui est celle des neurobiologistes et derrière eux des comportementalistes, restera lettre morte, au sens du risque de mort subjective.
C’est à cette place précise que l’éthique de l’analyse diffère, de chérir et privilégier encore et toujours la différence irréductible après laquelle court son patient, ou qu’il fuit, c’est selon, qu’il le sache ou non, et quelque soit l’état de son corps ou de son cerveau...
On comprend qu'on termine par la définition de ce que j’appelle une relation de qualité : c’est une relation respectueuse du remaniement mutuel, qui seule permet l’évolution culturelle et individuelle, via la métaphore. Si place est faite à la surprise, à l’absence de maîtrise, à la remise en question, alors, quelque chose peut se produire en soi, en l’autre, et dans la culture. Cela ne passe pas par l’harmonie, l’unité, qui ne sont que les masques de la maîtrise rigide, donc violente, mais par l’effectuation de l’hétérologie du monde : son exploration et son invention continuelles.
Tout le reste est violence..
Michel Levy : mslevy@laposte.net
[1] http://pagesperso-orange.fr/martine.morenon/lacan.htm
[3] Affect Regulation and the Repair of the Self, et Affect Dysregulation and Disorders of the Self. Allan N Schore
[4] Le mystère du placebo Dr Patrick Lemoine, ed Odile Jacob
[5] Le bébé et l’eau du bain Jean-François Chicoine et Nathalie Collard, Québec Amérique, 2006, ISBN
[6] http://www.mamanpourlavie.com/bebe-0-12-mois/services-de-garde/617-le-bebe-et-l-eau-du-bain-entrevue-avec-jean-francois-chicoine.thtml