L'INCOMPREHENSION SEXUELLE 
Ainsi, fondamentalement, un homme ne peut comprendre complètement une femme, et réciproquement. C'est à partir de cette base qu'un dialogue vrai peut s'instaurer entre homme et femme : qui ne soit pas du semblant. Parce que, évidemment, si l'on ne "comprend" pas l'autre, on a besoin du dialogue pour avancer dans la rencontre. Au contraire, un sentiment de compréhension permet de s'en passer, dans une relation dès lors très manipulatrice et toute-puissante.
 Par extension, une mère peut-elle comprendre son enfant ? Une femme peut-elle en comprendre une autre, ou un homme? Elle, il peut le croire, la projection étant là particulièrement leurrante. La question homosexuelle peut alors s'ouvrir, au sens psychanalytique, et non hormonal, génétique ou social. En effet, le désir homosexuel est alors le déni de la non compréhension de l'autre sexe, son évitement. C'est aussi la raison pour laquelle peu d'anorexiques sont effectivement homosexuelles, ce déni même étant absent pour elles…
 
MASCULIN ET FEMININ : DES LOGIQUES HETEROLOGUES
 
En résumé, si le féminin est borné par le masculin, la place de celui-ci est à l'évidence tout aussi importante pour l'enfant, singulièrement pour l'enfant anorexique et autiste, créant les conditions de l'accès à la complexité, donc à l'humain.. J'ai axé ce travail sur le maternel en raison de son impact particulier sur la genèse des logiques subjectives enfantines. La mère est une matrice dominante de la pensée de l'enfant, puisqu'elle l'est de son corps. Pour autant, la place du père reste centrale, mais d'une autre façon : il est ce que la ligne d'horizon est au port. L'appel du large n'est nullement incompatible avec les plaisirs du port…
Ce que le père propose à l'enfant, parfois sans même lui parler,  du fait même de sa simple existence, c'est la réduction des plaisirs narcissiques pour accomplir un destin singulier. Et le père est fait pour cela, physiquement, cérébralement, et psychiquement.
 On peut montrer que le cerveau masculin prédispose l'homme à privilégier l'investissement d'une logique particulière, au détriment de la multiplicité des points de vue. Le paradigme en est Einstein, ou Rousseau, qui, comme on le sait, ont  privilégié leur œuvre intellectuelle au point de sacrifier leurs propres enfants . Certains ont pu ainsi soutenir que l'autisme n'était qu'un cerveau d'homme poussé à l'extrême. On parle ainsi souvent d'autisme pour certains hommes politiques…
La propriété masculine de pousser la logique à son acmé, si elle rend compte de la dominance nette des hommes pour la pensée stratégique, et pour la création de systèmes logiques hypercomplexes rend aussi un service capital à l'enfant en l'inscrivant dans la logique sociale, au prix du sacrifice de la toute-puissance de son désir. L'influence du père limite  la construction par l'enfant de son désir, pour l'articuler à la norme sociale (soit dans l'accord, soit dans le désaccord, dans l'évolution ou la révolution…)
Les logiques subjectives qui se créent avec le père, dans l'intime du quotidien partagé, ne vont donc pas seulement faire tiers avec celles de la mère. Elles amènent tout autre chose et participent à fonder un sentiment d'identité vis-à-vis du masculin, pour la petite fille comme pour le petit garçon . L'Œdipe et l'identité forment un ensemble cohérent,  harmonieusement composé  de logiques subjectives hétérologiquement liées et déliées, partiellement compatibles et incompatibles, en conflit ou en synergie, selon des configurations singulières …. infiniment variées.
 
Au contraire, dans l'autisme, par exemple, les pères excessivement investis dans une logique monomorphe qui les éloigne du quotidien familial, n'aident pas l'enfant à trouver un autre point d'appui identitaire, alors que le maternel, lui-même ainsi insuffisamment soutenu fait déjà défaut. (Je ne prétends pas que ceci concerne tous les autistes, mais cela se voit fréquemment ). On trouve ainsi souvent en clinique une correspondance circulaire entre un père surinvesti dans une entreprise extrafamiliale, et une maman dépressive.
Dans mes observations cliniques à propos d'anorexie, c'est l'absence  de l'Oedipe inversé qui me semble être la règle, que ce soit pour le garçon ou pour la fille. Ce n'est pas exclusif d'autres troubles oedipiens, mais qui me paraissent moins constants. Ainsi, une petite  fille qui  ne joue pas au père vis-à-vis de la mère n'entre pas dans ce rôle qui lui  permettrait de voir la mère de l'extérieur, avec d'autres yeux, dans une logique  masculine. Elle ne fait pas ce pas de côté qui  lui permettrait de voir une femme  comme objet de désir d'un homme, et  non comme ce miroir maternel qui fait violence à sa capacité d'être une autre femme. D'après mes constatations, l'Oedipe direct  existe,… mais violemment refoulé le plus souvent, dans une aporie fusionnelle, en raison de parents qui supportent mal ces jeux, voire qui les prennent au sérieux, faisant virer l'Œdipe à la crainte incestueuse et à ses ravages.
Pour le garçon, le  dispositif est le  même, avec le même résultat  sur son  corps propre, haï de  ne pouvoir jouer à être homme avec une femme. Il lui manque les logiques subjectives qui préparent un corps mâle à  être aimé d'une  femme.  Ne reste que l'identification directe au père, très lointaine dans les cas rencontrés, insuffisante pour qu'un trajet narcissique persiste à minima . De plus, elle est cachée par un trait fusionnel très marqué à la mère, faisant encore plus violence au corps propre du sujet, et expliquant que ces cas flirtent fréquemment avec des thèmes psychotiques.
La faible part que prennent les garçons dans cette pathologie anorectique tient à la rareté de la collusion entre un investissement fusionnel maternel exagéré, (puisque  avec un garçon, le  miroir narcissique ne joue pas  pour  la mère )  coïncidant  avec une identification au  père quasi absente, voire violemment repoussée (inconsciemment) par des parents aux rôles sexués eux-mêmes fragiles. Ce sont des familles où on ne  voit pas qu'un homme, avec les valeurs qui sont les siennes, puisse être aimé par une femme, qui serait elle-même suffisamment claire avec les  siennes propres. Le corps  adolescent n'a dès lors plus de place dans une psyché qui ne peut quitter le statut d'enfant, la  dépendance fusionnelle étant aussi extrême que l'impréparation aux complexes jeux sexués de l'adolescence et de l'âge adulte
 
L'hypothèse ici soutenue pour l'anorexie est, pour le garçon comme pour la fille, l'impossibilité d'endosser symboliquement  l'autre sexe, du fait de l'absence d'Oedipe inversé, qui laisse le  corps  sexué sans représentation dans le rapport  sexuel. Ne subsiste alors que le miroir narcissique tout-puissant lié à l'imago maternelle .
Le très beau livre intitulé Anorexia, de Jean-Philippe de Tonnac, lui-même ex-anorexique, illustre cela de l'absence du moindre chapitre sur la  place intime du père, d'un père en position d'être aimé par une femme.
Le  défaut d'intrication des rôles masculins et féminins dans le psychisme de l'anorexique est particulièrement lisible lorsqu'on écoute ces patients.
Ces rôles n'étant ni réductibles l'un à l'autre, ni complètement compréhensibles l'un par l'autre, leur seule articulation possible est de nature hétérologique. Sans elle, l'acceptation structurante de la différence humaine  se  ferme, tandis que l'univers de la vérité, de la  certitude, de l'absolu ouvre ses logiques mortifères.
 
Notons  au  passage que la théorisation ici présentée est contradictoire avec l'hypothèse lacanienne  selon laquelle il  n'y aurait pas de rapport sexuel. Il faut nuancer Lacan, et introduire qu'il existe bien des représentations du rapport des sexe. C'est, selon moi, précisément à cause de leur absence que le corps sexué de l'adolescent ne trouve plus de place dans sa psyché, et parfois dans sa vie même.
Restons d'accord avec Lacan pour simplement soutenir que la castration ne se dissout pas dans le rapport amoureux, que l'amour n'est une solution ni à la névrose, ni à la psychose…
Mais ce rapport sexuel existe bel et bien dans la  psyché, soutenant même le plus  fondamental de la castration : lorsque tout va bien, aucun parent n'étant alors tout-puissant, puisque la relation entre eux implique que chacun se trouve limité par l'autre. Il  semble même alors qu'ils puissent prendre plaisir  à explorer chacun les contours, les  limites, physiques et psychiques, de l'autre.
 
Ajoutons que la technique, dans l'anorexie mentale, venant dénommer la violence destructrice colossale du miroir narcissique avec la mère n'est  valide qu'à condition de ne pas être elle-même  sauvage. Elle ne doit pas s'exprimer en dehors d'une ébauche de sa présence dans la parole pleine du sujet. A cette condition, elle trouve là une nouvelle validation : c'est une place  paternelle défaillante qu'elle prend : elle introduit une limite à la violence fusionnelle inconsciente de la mère. Ceci  implique en même temps de prendre le plus possible le père réel en alliance dans ce processus, pour éviter  de l'invalider encore plus qu'il ne l'est.
Qu'il faille parfois séparer l'enfant de sa famille  témoigne de la violence mortifère qui  inconsciemment., l'a entièrement envahie . Mais elle risque d'être peu utile, si elle ne s'accompagne d'une élaboration de cette violence d'autant plus destructrice  qu'elle est méconnue de tous et toutes. Cette tâche peut s'effectuer dans le respect des uns  et des autres, dès lors que le thérapeute comprend que tous sont dépassés par ce qu'ils produisent. Chacun est là aux prises avec son propre inconscient,  et c'est simplement  ce qui nécessite qu'on mette le point sur le I du mot violence.
Si la mise en mots de cette violence respecte  la barrière conscient/inconscient de chacun, elle va peu à peu remplacer les passages à l'acte mortifères par des possibilités  d'individuation et de symbolisation progressives .
Le thérapeute pourra être, tour  à tour, représentant d'une fonction maternelle qui trouve sa limite, et d'une restauration narcissique paternelle, d'un travail général sur les limites et le cadre. A lui de s'aider, au fur et à mesure de la prise en charge, de tous les apports externes  qui serviront d'appui au sujet pour la création de logiques subjectives nouvelles, rendant à mesure la dépendance thérapeutique moins obligatoire, et favorisant … par là même la différenciation. L'idée des identifications oedipiennes multiples, fonctionnant dans tous les sens possibles du rapport sexué, (rapports de dialogue, je le rappelle)l'aidera beaucoup à accompagner et comprendre ces chemins anorexiques.
Les techniques de double contrainte employée par l'école italienne de thérapie familiale de Mara Selvini me paraissent n'être adaptées qu'aux cas à  connotation psychotique forte : pour qu'elles réussissent, il faut que le langage ait un pouvoir absolu. La violence, en tout cas, se répète alors  dans l'injonction du thérapeute, proférée indépendamment de la parole du sujet. Le risque d'interprétation sauvage est là majeur. De même, les contraintes hospitalières  ne doivent être mises en place qu'en dernière extrémité. La séparation familiale suffit le plus souvent, sans avoir besoin d'entrer dans le chantage au poids qui accompagne le forçage alimentaire parfois organisé par les équipes hospitalières. Dans ma pratique personnelle, on sépare l'enfant de la famille, dont on va s'occuper par ailleurs, et on ne  parle plus d'alimentation avec l'adolescent. Cela suffit souvent pour que la courbe de poids reprenne vite un tour rassurant !
 
FEMININ SINGULIER
 
Ainsi se relient d'un seul trait les éléments de la dépression féminine, leur lien à l'autisme, à l'anorexie mentale : lorsque les caractères de différentiation sexuelle féminine fonctionnent sans limites, de façon monologique, ils deviennent des enfermements, des huis clos dramatiques, alors que leurs caractéristiques originelles sont de création, de remodelage, de refondation, de découverte progressive de soi-même, d'accompagnement intime de la construction de la personne Toutes ces qualités profondément féminines ne deviennent alors pathologiques que du fait simplement d'être seules, sans bornes.
Que le féminin soit borné par le masculin, que le masculin soit borné par le féminin et voilà une hétérologie qui peut à nouveau fonctionner, restaurant la liberté d'action et de pensée subjective .
Les aléas que j'ai décrits du côté de l'autisme et de l'anorexie mentale ne sont que des exceptions qui confirment la règle, aucun système n'étant parfait, toute médaille ayant son revers. A cause de la spécialisation féminine autour des fondations narcissiques du sujet,  les perturbations dans la régulation générale des fonctions féminines par les fonctions masculines entraînent des types de pathologies particulières, le désinvestissement du masculin concernant l'autisme et le surinvestissement du féminin impliquant l'anorexie mentale.
 
Dans un cas comme dans l'autre, la pathologie provient du désinvestissement de l'autre sexe, des logiques masculines, qui ne limitent plus le féminin. Les logiques masculines sont en effet pour le féminin des logiques de discontinuité, de saut, permettant l'écart du maternel. La littérature psychanalytique en a abondamment rendu compte déjà sans qu'il soit besoin d'y revenir. Pour l'anorexie mentale, la dérive se fait vers l'investissement exclusif par l'enfant des valeurs maternelles, au détriment des autres, laissant une adolescente en grand désarroi pour entrer dans une vie sexuelle et sociale ou, en fait, bien d'autres rôles que le rôle maternel sont nécessaires pour pouvoir exercer sa vie.



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