Conseils
Le dernier point que je voudrais aborder est donc celui du conseil. C'est un sujet qui est souvent débattu dans les milieux balintiens. Les uns estimant, de par leur formation, qu'ils sont légitimes à en donner, dans le cadre de la transmission de l'art de la psychothérapie ou de la psychanalyse, individuelle ou de groupe, les autres estimant qu'ils limitent la précieuse capacité à prendre ses risques dans la conduite d'une psychothérapie, et que donc tout conseil vient brider l'inventivité indispensable au thérapeute pour exercer son métier.
Mais qu'est un conseil ? Dans le plus simple des cas, c'est un conseil technique, de la part d'un qui possède une part de savoir que l'autre n'a pas. Mais même dans le plus simple des cas, ce n'est pas si simple… Imaginons que je me prenne la tête sur cette fameuse pompe à essence à dépression qui équipe le carburateur de ce Solex que je retape pour mon plaisir. Une semaine que je suis dessus et je ne m'en sors pas. Passe un copain, auquel que je ne demande rien, et qui m'explique alors que c'est la souplesse de la membrane qui est défectueuse, bien qu'elle ne soit pas percée… Il a certes raison, mais en même temps vient casser le plaisir de ma recherche, sans que je ne lui ai rien demandé ! Rien de bien grave, me direz-vous, et pourtant… Si à chaque fois que vient ce copain, il procède de la sorte avec les différents problèmes en cours dans une maison, ou une vie, il deviendra vite insupportable ! C'est que l'énergie et la passion qu'on met à résoudre nos problèmes sont parfois plus importantes que les solutions, lesquelles sont d'autant plus précieuses alors qu'elles sont les nôtres.
C'est bien ce processus dynamique de la vie psychique, cette recherche, ces élaborations, ces difficultés non encore résolues qui font grandement le sel de la vie.
Aussi peut-on d'emblée différencier deux types de conseils : ceux qui sont donnés, et ceux qui sont demandés. Dans l'ensemble, les premiers sont fort risqués, alors que les seconds passent mieux. C'est que le conseil, la compétence technique ne peuvent fonctionner sans un vrai désir de savoir, d'apprendre du côté de celui sur lequel il s'applique.
Tout ceci reste à peu près simple dans des domaines peu complexes, tels la mécanique. Si on y perd parfois son latin, c'est vrai, ce n'est pas pour autant un domaine hyper complexe comme celui de la psyché… Là, c'est tout autre chose !
Sont rapportés en Balint des rencontres entre thérapeutes et patients, c'est à dire entre deux appareils psychiques, qui dialoguent pour avancer à travers les paradoxes et complications de la vie et de la pensée.
Soyons là bien humbles devant cette abyssale complexité, bien loin de la mécanique ! Elle va être, en Balint, doublement filtrée : d'une part, le récit qu'on fait de soi est la partie traduisible en mots de notre être. C'en est donc une toute petite partie ! D'autre part, le récit qu'en fait le thérapeute dans le groupe est encore filtré par lui, qui n'en restitue qu'une très faible partie. A cette double réduction s'ajoute ce que chacun du groupe peut en entendre, ce qui fait là une troisième réduction.
C'est bien en raison de ces réductions drastiques que Lacan pouvait dire de ses jeunes élèves en supervision qu'ils faisaient n'importe quoi, mais … qu'ils avaient aussi toujours raison ! C'est tout simplement qu'ils étaient en contact avec l'hypercomplexité de leur patient, contrairement à leur superviseur, s'appelerait-il Lacan, ou Freud, ou quiconque !
Est-ce la raison pour laquelle la pratique de la supervision d'un analyste par un autre est-elle à la fois fort répandue et malgré tout peu évaluée ? Il circule parfois dans le milieu analytique que le patient est un brin sacrifié au bon déroulement de la supervision…
Je pense en fait que ceci peut se produire lorsque des conseils sont donnés dans ce cadre ! Lorsque cela se produit, la conduite de la psychothérapie échappe à la maîtrise des deux protagonistes qui la vivent, pour prendre une direction qui est celle du superviseur, lequel n'est pas en possession de ce qui fait le coeur de toute psychothérapie : la complexe rencontre de deux psychés.
C'est exactement, pour revenir à notre sujet plus directement, ce qui va se produire lorsqu'un conseil directif est lâché dans un groupe Balint. Plus la personne qui l'émet est porteuse d'un investissement important, en tant que chef d'école analytique ou référence de savoir, plus le risque existe alors d'un effet délétère massif, par la réduction que nous avons décrite, et qui n'est plus du tout prise en compte du coup.
Ainsi dans cette cession Balint, une participante vient-elle réagir au récit qui est fait par un participant qui décrit une situation dans laquelle la prise en charge du patient est partagée entre un psychiatre et un psychologue. Les paradoxes que suscite cette situation, nourris par les discours différents que tient le patient à l'un et à l'autre, amènent le psychologue participant du Balint à un certain désarroi. Conseil lui est intimé par cette autre participante d'appeler le psychiatre en question, pour mettre à plat cette complexe situation. Fort heureusement, le groupe lui-même travailla sur cette intervention, montrant au final que la tenue du dit conseil aurait cassé l'équilibre fragile que contrôlait le patient par ces "manipulations", qui étaient aussi des avancées prudentes sur plusieurs plans, à la vitesse qui était la sienne…
Conclusion
Ainsi, un groupe Balint qui permet que la charge affective de notre travail de thérapeute puisse être partagée en collectif peut-il être d'un grand secours, à quelques conditions cependant.
La première est d'apercevoir que ce qui protège, soutient, permet une élaboration, à savoir le groupe lorsqu'il est bienveillant et accueillant, ne met pas à l'abri d'un certain poids, du risque que tout consensus groupal peut faire peser sur l'inventivité singulière de chacun. Il existe toujours entre les deux une certaine forme de paradoxe qu'il vaut peut-être mieux accepter que de réduire.
La deuxième est alors que le sentiment d'erreur, le poids d'une certaine culpabilité chez le thérapeute, face aux nombreuses difficultés du chemin d'une psychothérapie, puisse, grâce au groupe Balint, se transformer en savoir nouveau, en élaboration féconde.
Dans la troisième, l'art du leader et du groupe lui-même est de maintenir cette élaboration grâce et malgré les nombreuses questions qui fusent sur le cas dans le collectif. Là encore, se souvenir que toutes ces pistes explorées approfondissent autant qu'elles peuvent perdre le chemin permet d'accepter cet autre paradoxe, inévitable lui aussi.
Enfin, l'usage du conseil étant le plus souvent l'exact contraire du but d'une psychothérapie, qui est au fond que le patient retrouve son chemin et le plaisir de le chercher, il semble utile de terminer par ce point.
Peut-être alors, sans que tous ces aspects ne soient exhaustifs, tout ceci permet-il le cheminement agréable d'un groupe Balint, et participe-t-il ainsi à un meilleur confort des soignants dans la pratique de leur métier, ce qui est tout de même l'ambition première de la pratique Balint.
Dr Michel Levy, Saint Sauveur, le 29/1/2019
[1] Le médecin le malade et sa maladie, Ed Payot, P 143.