Un poème de Joyce Mansour, (merci Nathalie Peyrouzet) illustre bien, aussi, cette recherche d’un corps affecté dans les mots qui en disposent de trop loin...
« Crème fraîche
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Ma mère me mange
Me torture
Et pour m’empêcher de la suivre
Elle m’enterre
Je mange ma famille
Je crache sur leurs débris
Je hais leurs maladies funambulesques
Et leurs hallucinations de l’ouïe
Prenez garde au dentifrice
Qui blanchit sans détruire
Mieux vaut s’égayer en dévorant les siens
Que de marcher à quatre pattes
Boire
Ou essayer de plaire
Aux filles »
Au contraire de ces poésies où le corps se recherche dans le dédale de signifiants par trop inconnus, une poésie moins déstructurée, plus névrotique est bien représentée par le plus célèbre des poèmes, encore de Rimbaud…
A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu : voyelles,
Je dirai quelque jour vos naissances latentes :
A, noir corset velu des mouches éclatantes
Qui bombinent autour des puanteurs cruelles,
Golfes d’ombre ; E, candeurs des vapeurs et des tentes,
Lances des glaciers fiers, rois blancs, frissons d’ombelles ;
I, pourpres, sang craché, rire des lèvres belles
Dans la colère ou les ivresses pénitentes ;
U, cycles, vibrements divins des mers virides,
Paix des pâtis semés d’animaux, paix des rides
Que l’alchimie imprime aux grands fronts studieux ;
O, suprême Clairon plein des strideurs étranges,
Silences traversés des Mondes et des Anges :
— O l’Oméga, rayon violet de Ses Yeux !
Il s'agit là d'un voyage d’un sujet constitué dans le monde des signifiants et le monde lui-même, tant interne qu’externe, à travers les métaphores poétiques, et non d'une exclusive recherche de reconstitution de soi-même dans des signifiants nouveaux comme chez les deux poètes précédents.
Alors, au terme de cette présentation de ce qu’est le signifiant dans ma vision de la psychanalyse, posons que l'interprétation du signifiant du symptôme, lorsqu'elle semble utile, a beaucoup de rapport avec la poésie. Elle ne démontre rien, mais ouvre ou réouvre le plaisir du voyage du patient dans d'autres plans, d'autres horizons. Surtout, n’étant que métaphorique, située dans tous les cas comme telle, elle laisse intact la singularité toujours inexplorée de l’être du patient, l’abritant du pouvoir, toujours délétère, de la parole qui se croit la vérité de l’autre, lorsqu’elle est prise aux mots, alors que ce fut justement le douloureux départ dont ce dernier vient reparler... et tenter de reconstruire.
L’entrée dans le langage crée un constant déséquilibre, voire des ordres ou désordres incalculables, lié au signifiant « cheval de Troie »
La théorie de l’information de Shannon n’est que de peu de secours dans cette occurrence, car elle ne se préoccupe pas du sens, se focalisant simplement sur les questions de circulation de cette information. Parler de théorie de l’information est en réalité un faux sens. Si on intègre l’affaire du sens, c’est une toute autre histoire. En effet, si le réel s’arrange bien tout seul pour déterminer des déséquilibres brutaux chez les systèmes vivants, tel par exemple le lapin dévoré par le renard, cataclysme thermodynamique si je puis dire, pour différencier du terme de catastrophe,
En effet, tout l’équilibre thermodynamique explose en fait à partir de la question du sens. Ce n’est pas non plus congruent avec la théorie des catastrophes, qui décrit en fait des phénomènes d’émergence.
On comprend alors le lien étroit entre le signifiant, externe, qui représente le sujet dans le champ langagier, et social, et le plaisir, qui permet à celui-ci de se l'approprier. grâce aux résonances entre l'intime de l'être et l'extime du signifiant. Je est un autre, de Rimbaud, s'éclaire alors assez rigoureusement, de même le fait que le sentiment le plus aigu de l'identité, à travers les dénominations signifiantes, est dans le même temps l'aliénation la plus rigoureuse.
Qu'est le racisme, alors, si ce n'est le risque que se trouve dévoilée la relation en fait fragile entre le coeur de l'être et ce qu'il est pour les autres. Le trop peu de plaisir qui a accompagné le processus signifiant identitaire, dans ces cas, rend fort fragile l'identité elle-même. Dès lors, le danger est projeté partout de risquer d'être défait d'une défroque identitaire qui en réalité ne tient déjà plus que par lambeaux. C'est la raison pour laquelle le trait de personnalité paranoïaque s'accompagne si souvent de la dimension raciste. Si les signifiants qui rassemblent notre personnalité sont trop éloignés de nous-même,
On comprend aussi mieux alors en quoi la qualité du lien transférentiel, voire carrément le plaisir lié à ce lien, à condition qu’il soit complètement dévolu à la problématique en jeu, est nécessaire à ce que de nouveaux signifiants s’inscrivent dans la complexité signifiante du patient.