Imaginaire, transcendance, socialisation et embryologie intra-utérine. 

 

Il existe donc une embryologie de l’imaginaire, qui serait une forte condition de la sociabilité, et peut-être aussi chez l’homme un des fondements archaïques de l’image du corps, qui est le résultat de la croisée, cristallisée dans le langage, de deux imaginaires, le sien et celui de l’autre. Elle est ce qu’on appelle précisément en physique une interférence…  

On se souvient que dans le départ de ce travail, nous avions posé que cet imaginaire était ce qui de l’être échappait au langage. Nous pouvons alors affiner cette définition maintenant?: c’est ce qui, dans le rapport à l’autre, est au-delà ou en-deçà du langage, le conditionne d’abord, le justifie ensuite, sans cesser de le remodeler?! 

 

Cependant, cette dimension particulière de l’altérité chez l’homme, ainsi intimement liée à l’image du corps et au langage, s’accompagne, si elle est effective, de la nécessaire manifestation symbolique de sa présence. 

 

La croyance en dieu n’est-elle pas ainsi un développement particulier chez l’humain d’une croyance en l’autre, donc au départ embryonnaire, qui est le corrélat de toute vie sociale ? Même chez les athées et les agnostiques, existe au moins une croyance dans le langage, puisque dieu est toujours et peut-être surtout un mot, qui est peut-être le témoin intime chez chacun de l’altérité, à l’exception des autistes… 

S’il est de fait absurde de poser l’existence de divinité chez les animaux, ce qui serait un stupide anthropomorphisme, il est par contre plus rigoureux de noter que des rituels sont présents dans le monde animal, outre le plan de la sociabilité que nous avons vu plus haut. 

Leurs significations sont mystérieuses, et mieux vaut s’en tenir aux faits : si parfois les pies déposent autour d’une de leur congénère morte des brins d’herbe, si les exemples d’ensevelissements de cadavres sont documentés chez les éléphants, si les primates se livrent à des sortes de danse autour de la pluie, s’il est rigoureux de noter des comportements non liés à l’alimentation, la reproduction, ou toute autre fonction du registre du besoin ou de l’instinct, il faut bien convoquer là une fonction imaginaire, dont l’importance sociale est cruciale puisque partagée par l’ensemble des membres du groupe. Poser ainsi que l’imaginaire, au contraire de la mémoire, est essentiellement une fonction sociale, avec des faits qui y sont spécialement dévolus, permet de dérouler le fil rouge (darwinien?!) qui va du comportement animal aux complexités des croyances humaines.  

 

Que cette suite évolutive s’origine entre autres de la croissance fœtale intra utérine, voilà simplement une hypothèse qui situe l’origine de l’altérité nécessaire à tout imaginaire du coté de cette présence plus ou moins attentive, mais durable, pendant la constitution de l’appareil psychique des animaux, y compris humains, qui naissent dans ces conditions particulières. 

Il devient possible de poser que l’altérité imaginaire s’origine de cette attention parentale durant la grossesse, sorte de présence dont le petit acte la réalité pour lui en fonction des résonances dont nous parlions plus haut. Ne s’agit-il pas là d’une toute puissance souvent bienveillante, à laquelle le petit doit s’adapter, laissant alors la possibilité de sentiments complexes, dont la culpabilité, et l’attente, sentiments fondamentaux de la sociabilité. 

 

Que nous apprend alors ce lien curieux entre l’embryogenèse et la sociabilité?? Sans doute que dans ce nouvel équilibre entre l’individu et le groupe qui s’inaugure là, dans ce conflit structurel et les résonances entre les besoins de l’un et ceux de l'autre, les plaisirs naissants des soins apportés de l’extérieur à l’embryon en formerait la matrice, c’est le cas de l’écrire. Voilà qui autorise sans doute l’acquisition des normes sociales, dont, chez l’homme, le langage, c’est-à-dire la sophistication des règles sociales, ainsi d’ailleurs que chez certains animaux dotés aussi d’une forme de parole. Ainsi, les femelles dauphins semblent elles aussi chanter à leur petit deux à trois semaines avant leur naissance80?! 

 

Conséquences cliniques de ces approches. 

Les symboles, les signifiants, les langues, ainsi, n’existent, si on suit le présent travail, que s’ils sont situés dans un espace imaginaire préalable, probablement d’origine embryonnaire, qui autorise leur investissement, ce que décrivent si bien Jean Giono et Heidegger. Il faudrait, pour rendre compte de cela, introduire comme condition à l’existence du symbolique, le contenu, son contenant?: l’imaginaire. 

Il ne s’agit plus de celui des philosophes, sorte d’envers, dévalorisé, de la raison, ni de celui de Castoriadis, source infinie de créativité sans limite, mais plus précisément du socle interactif vivant sensible et mouvant, dans des rythmes complexes, changeant, sur lequel se développe l’univers symbolique. 

Aussi imaginaire et symbolique sont-ils inscrits dans une suite bien précise l’un de l’autre?: Aucun symbole ne s’inscrirait sans sa base imaginaire, ce que j’appelle ici l’imaginaire embryologique, ce que montre bien l’impasse autistique lorsque manquent les résonances entre l’enfant, le fœtus aussi donc, et la mère. C’est ce qui arrivent aussi de manière significative statistiquement lors de la dépression des parents. Les éléments symboliques qui parviennent à l’enfant, s’ils sont déliés de la profondeur de l’échange ludique, du plaisir authentique des corps, sont ces signes morts que décrit Giono «?Comme si, brusquement, on était dans un canton de l'existence où il ne reste plus que des symboles, on habite des fresques de la vie.?», ou, pour Heidegger «?les choses auprès desquelles nous sommes peuvent cependant ne rien nous dire, ne plus nous toucher.?» 

 

Ainsi, qu’aucun signe ne puisse sans doute nous parvenir, s’intégrer à notre appareil psychique, s’il n’est pas accompagné de son contenant, sa résonance imaginaire, voilà ce que nous apprendrait l’embryogénese de l’imaginaire. Ceci n’est pas sans importance pour n’importe quelle séance de psychanalyse ou de psychothérapie, quelqu’en soient les techniques, écoles et obédiences. Beaucoup d’auteur ont aperçu cela, qui répètent que l’analyste guérit plus par ce qu’il est que par ce qu’il dit?! Ils désignent alors exactement cet écrin imaginaire si indispensable au joyau symbolique, qui, sans cela, n’est guère qu’une indifférente pierre parmi les autres. 

 

Cette dimension imaginaire fondatrice de l’altérité, probablement présente sous une forme ou une autre chez les animaux sociaux, on l’a vu, s’accompagne ainsi semble-t-il toujours d’une imprégnation embryonnaire des signes de ce partenariat. C’est peut-être la voie sélectionnée par l’évolution pour acquérir les précieux comportements sociaux, dont, chez l’homme et quelques autres animaux, un langage. 

 

Voilà une résonance supplémentaire en place dans le monde des vivants, cette fois non entre des éléments naturels et instinctuels, mais entre deux instances imaginaires, des extensions de la mémoire, à savoir les images que se renvoient l’organisme en construction et celui qui l’aide à le faire. Non que je pense que les attentions du perce-oreille à l’égard de son œuf soient les mêmes que les fantasmes maternels si structurants pour son enfant, quoi que…. 

 

En tous cas, pour nous, voilà qui relie le concept d’image du corps à l’histoire de cette présence attentive mutuelle de deux imaginaires, celui de l’enfant, en constitution et des parents, déjà constitué et plus ou moins malléable, adaptable à l’autre. 

Que ces deux imaginaires s’accordent suffisamment pour autoriser le développement de chacun, voilà l’enjeu de l’enfance, et dont les aléas font le cœur de toute psychanalyse ou psychothérapie, qu’elles soient duelles ou familiales. Qu’ils ne s’accordent pas complètement est tout aussi fondamental, comme Winnicot le posait en disant qu’une mère ne doit être ni trop bonne ni trop mauvaise ! Il ne s’agit certes pas de revenir à une psychologie d’un moi “sain”, témoin d’une harmonie idéalisée, avec les graves dangers de désillusion qui l’accompagne ! 

 

 

Aussi comprend-on maintenant, à l’issue du présent travail, que la musique de la séance de psychothérapie ou de psychanalyse va autant compter que son contenu, en écho lointain aux conditions embryonnaire de ces développements… 

Le travail proprement symbolique, le contenu, ne peut être efficient sans son contenant, l’image du corps au sens où nous l’avons défini plus haut, comme interférence entre deux imaginaires, dont ceux de l’analyste et de son patient. Le but d’une analyse n’est-il pas alors de parvenir à choisir ses partenaires pour cela, savoir dire oui à certains, non à d’autres, pour privilégier les résonances positives?? 

 

Il est par ailleurs notable de remarquer que la position de l’analyse met en place deux êtres qui ne se voient pas, faisant simplement présences l’un à l’autre par le son et les mouvements. Que se reproduise là une condition archaïque et originelle de ce qui chez l’homme et quelques animaux amènera à la verbalisation permet de donner toute son importance au contexte physique au sein duquel ces remaniements symboliques s’effectuent, dont l’interprétation. 

 

Il n’est pas question ainsi de revenir sur les importantes avancées lacaniennes sur la place éminente du signifiant dans le processus identitaire, ni sur la fonction fondatrice pour le sujet de la césure de la loi humaine sur le miroir maternel, éléments qui autorisent in fine une vraie subjectivation et aussi une terminaison de l’analyse, c’est-à-dire la remise en mouvement d’un désir singulier dans le champ social, une séparation garante de l’effectuation d’un trajet singulier parmi les autres. 

Simplement peut-être le lecteur apercevra mieux après ce trajet l’importance d’un accueil autre que seulement intellectuel à la demande de son patient. C’est au reste la vraie définition du travail transférentiel. C’est là, il me semble, la condition originaire sine qua non d’un retour possible d’un désir vivant, d’un remaniement, après les impasses du symptôme. 

 

Il est bien clair aussi, si on suit ce qu’indique avec force toutes les recherches dont nous avons parlé, que les dialogues, les pensées, les gestes, les caresses, les fantasmes, les projections de la mère et des parents sur le fœtus paraissent indispensables à ce que ce dernier s’engage dans un désir social, altruiste, dès la naissance. Bien sûr à condition que tout ceci reste conditionné à la réalité de l’enfant, nécessairement plus ou moins différente de ces projections. Cela reste vrai dans la problématique transférentielle, y compris du côté des projections, positives ou négatives, de l’analyste, du thérapeute. Nous arrivons alors sur un paradoxe bien fécond, dont la vie est truffée : ces projections témoignent d’attentions réciproques précieuses pour l’existence même d’une rencontre structurante, en même temps qu’elles risquent de la faire échouer si elles sont trop pesantes et remplies de leur vérité?! 

Il ne manque pas, si on y prête ainsi attention, de résonances avec ces époques archaïques, dans les éprouvés transférentiels?: ainsi cette patiente qui, à sortir de longs mois de silence, parvint à me dire que mes rares interventions eurent l’effet d’un bercement d’une voix maternelle, autorisant la reprise d’une parole à la recherche d’elle-même… Ce n’était évidemment pas mon but lorsque je m’exprimais ainsi?! Je ne comprends que maintenant ce qui s’est passé?: il faut d’abord un contenant pour qu’il y ait un contenu… 

 

 




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