Lacan parlait de pulsion scopique, nous avons là une pulsion de représentation lié à la perte de l’imaginaire dans le signifiant, ce qu’Heidegger appelle le litige entre la terre et le monde. 

Ce trait inaugural de cette séparation, qui fonde l’humain, cette trace qui témoigne et crée en même temps ces deux mondes, comment ne pas penser à la barre qui sépare signifiant et signifié, au trait unaire?de Lacan ? 

C’est ce trait, cette coupure qui fait de l’art une nécessité pour que l’être, sans cesse, questionne le sujet. C’est pour cela que l’enfant ne peut faire autrement que d’entrer dans l’art en même temps que dans la langue… 

Ce fait massif, repérable dans les religions, puisqu’aucun texte religieux n’existe sans représentation imagée, même chez les juifs, en dépit de leur rapport très particulier à l’image8, est donc aussi manifeste à ce niveau que lors de l’entrée de l’enfant dans le langage, ce dont témoignent peut-être ces traces préhistoriques de dessin d’enfant, vestiges émouvants de l’entrée des humains dans l’univers signifiant?! 

 

Un autre mot à ce moment de notre réflexion à propos des animaux disposant d’un langage seulement, sans représentations. Ces outils sont plus complexes que ceux que nous avons déjà vu chez certains grands singes.  

Les seuls ayant développé suffisamment cela, cependant sans l’arbitraire, on l’a vu, sont les cétacés. Que devient chez eux ce décalage entre l’être dans la langue9 et l’être en soi?? Si chez les humains, le dessin, l’art viennent dans cet interstice, pour ensuite ou en même temps être occupé par une certaine créativité individuelle dans l’espace social, qu’en est-il pour les dauphins, qui partagent sans doute avec les humains une culture venant largement compléter leur équipement instinctuel ? 

Une curieuse découverte vient appuyer l’existence de cet effet parallèle du langage?: les bébés dauphins co-inventent avec leur mère leur «?prénom?», ce qui fait qu’il n’est peut-être pas deux prénoms identiques dans cette espèce parlante?! La singularité est là affirmée, qui s’accompagne d’un style et d’un caractère particulier à chaque animal, dans ses jeux, ses interactions sociales et sans doute son langage singulier… Faute de dessin, l’être s’exprime dans des inventions probablement linguistiques et très certainement ludiques. En effet ces animaux sont parmi les plus joueurs du monde animal, et chacun avec son style?: le style est le dauphin même, disait Buffon… 

Il faut aussi remarquer que ce hiatus particulier qu’entraîne l’entrée dans la langue, s’il est à l’origine de la plupart des symptômes humains, selon des modalités fort différentes d’un sujet à l’autre, ne manque pas non plus d’entraîner quelques névroses, si on peut employer ce mot, chez ces animaux, repérables au comportement parfois exagérément solitaire ou agressif de certains de ces animaux sociaux. 

 

Mais laissons là nos cétacés?!  

En tous cas, en commun avec nous ils partagent le fait que leur destin n’est pas simplement dicté par l’instinct, mais aussi par une dimension sociale, et même culturelle, puisque des dialectes existent chez eux. S’ouvre alors la problématique du sens. L'idée est que ce dernier serait spécifiquement lié au fait de langage.  N’oublions pas que ce terme de sens a deux significations entre autres fort nombreuses : d’une part une direction selon un axe, d‘autre part la faculté de comprendre les choses. Ces deux notions sont en fait bien reliées dans la logique de la langue. C’est bien en cheminant dans l’ordre des mots qui forment la phrase que compréhension et imaginaire s’articulent. C’est ce processus de lien complexe et surtout nécessaire afin que l’être s’y retrouve dans la langue dont le dessin d’enfant témoigne. 

 

Cette hypothèse est bien explorée dans le texte suivant de Fabrice Garcia10. 

L’être humain est avant tout le sujet d’un récit… 

 

 

La question du sens 

 

La culture et le langage proprement dit se sont développés lorsque la signification interne aux communications par signaux a fait problème, devint insuffisante. Il fallait donner du sens à ce qui n’en avait plus naturellement, comme l’atteste la curiosité de certains animaux (les « phénomènes de curiosité » chez les corbeaux, rats, primates), signification qui n’est plus subordonnée à leurs besoins et instincts. Mais si la curiosité animale s’intéresse au sens des objets, la curiosité humaine porte sur la logique. Nous avons là une transition des mammifères supérieurs à l’homme, avec une mutation discontinue. Le langage et les sociétés humaines sont nés pour répondre au problème du sens qu’aucune logique naturelle (biotope, instinct, besoins) ne semble pouvoir fonder, et qui porte sur la logique elle-même, non sur les objets. C’est ce qu’il faut ici démontrer. 

 

La logique ici proposée est en fait celle du langage, qui est toujours une logique organisationnelle et temporelle. Au contraire, ce que cet auteur appelle la logique naturelle est en fait la logique biologique du vivant, comme par exemple les chaînes de l’ADN. Ce texte se comprend mieux cette clé qui relie le sens à la logique du langage. 

 

Il est vrai que la question de l’origine du langage est difficile, mais il ne faut pas avoir peur de s’y confronter. Il faut supposer que le langage se soit enraciné dans une curiosité intérieure, et ce, pour répondre au problème du sens, que la logique environnementale ne résout pas, ni celle des besoins et des instincts dont la curiosité s’affranchit.  

... 

Pour que le langage apparaisse, il faut que le sens fasse problème, qu’une rupture dans le cercle de la communication se manifeste. 

 

Il y a problème du sens, parce que des raisons sont recherchées. Elles le sont à l’égard, aussi bien des objets, que des sujets. Quand on parle de raison et d’un problème du sens, on implique un contexte : celui de la justification, comme le prouvent les connecteurs logiques qui répondent au problème du sens, tels que « si alors », « donc », « par conséquent ». Les connecteurs logiques ainsi que l’implication commencent alors à répondre au problème du sens, à une logique, aux raisons. C’est pourquoi le langage ne cherche pas à désigner directement les objets de la perception et de l’environnement. La curiosité pour une logique implique celle des connecteurs : si cet objet est là, alors quelqu’un l’a certainement mis ; si cet objet n’est pas là, c’est donc qu’il a été enlevé. La curiosité animale implique certainement des connecteurs logiques au sein de sa logique par signaux, mais elle ne répond qu’au problème spécifié par l’espèce : si prédateur alors fuir, si prédateur s’approcher alors se cacher, etc. Il n’y a pas ici besoin des raisons, vu que le sens est toujours déjà spécifié. Ce qui montre qu’il existe de la pensée animale, mais spécifiée dans des situations prévues. Lorsqu’il s’agit de la curiosité chez l’animal, le contexte n’est plus biologiquement spécifié, avons-nous vu avec Lorenz. Mais cette logique est reliée à l’objet. Au contraire, on peut dire qu’avec l’homme, la logique n’est ni reliée à des besoins spécifiés, ni reliée à une curiosité pour l’objet : elle est recherche du sens et des raisons attribuées à une logique, que ni l’environnement naturel nous donne spontanément, ni notre patrimoine phylogénétique. 

 

Ce texte montre que l’entrée de l’enfant dans le sens est aussi son entrée dans le champ social, c’est là où se déroule la logique, en fait langagière dont parle ce texte.?Quel est sa place dans cet endroit de structures familiales, groupales et de langage?? Comment se situe-t-il dans les récits qui l’entourent et le façonnent?? 

 

La complexité sociale dont témoigne le langage donne un sens, c’est-à-dire une place et un trajet culturel au sujet. Le langage symbolique est ce moyen que l’humain eut d’entrer dans son identité sociale structurée.?