Voilà le père et sa fonction néantisés, et de quelle façon?! Mais la conséquence est lourde?: il n’existe donc pas, de ce fait, dit-il, d’inconscient chez Sartre, la liberté prenant chez lui ainsi toute la place?!??
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Alors il manque chez Sartre une articulation fondamentale, qui se lit bien dans curieuse phrase?: «?il est mort en bas âge?». Il parle de son père comme si c’était lui?! Peut-être Sartre est-il mort-né, il est vrai, à une réelle transmission humaine, au dialogue des générations, dont l’absence est le profond message de l’existentialisme, problème que nous avons repéré dans un travail précédent. Il choisit d’ailleurs, logiquement, de ne pas faire d’enfants.
L’absence du travail de la castration paternelle sur sa vérité psychique produisit ainsi chez Sartre, pourtant le chantre de la néantisation, la sacralisation des mots… Et finalement le délire38 pour lequel d’ailleurs il consulta Lacan?!
On peut lire dans cette histoire ce que nous avons déjà vu?: abreuvé de compliments maternels auxquels il croit dans sa prime enfance, collé à ces éloges de manière absolu, il est embarqué par ces mots loin de sa réalité de simple sujet, qu’un père digne de ce nom eut peut-être rétabli?! D’ailleurs, l’interprétation de Lacan consista à lui indiquer que les homards qu’il voyait partout le poursuivant représentait l’aliénation qui se profilait alors pour lui à qui on proposait un poste d’enseignant. Voilà qui faisait redondance avec les surinvestissements maternels, sans doute. Les mots nous éloignent de nous-mêmes soit en nous écrasant, parfois en nous séduisant…
Ceci explique en particulier que l’hallucination soit un phénomène proprement humain, absent chez les autres espèces animales, même si c’est parfois décrit chez les chiens39, lesquels sont aussi fortement soumis aux mots cependant, et, en ce qui les concerne, de façon fort passive évidemment.
C’est un certain usage des mots, un excès de vérité de leur côté, emportant le corps réel, qui détermine la possibilité hallucinatoire, laquelle est donc en réalité une excroissance symbolique emportant avec elle l’imaginaire loin du corps.??
On entend alors l’importance de la définition précise de l’imaginaire comme ce qui échappe au discours concret par laquelle nous avons commencé?: le domaine des mots, s’ils font indiscutablement vérité, embarquent avec eux l’imaginaire pour un voyage sans limites.
Le délire apparaît alors lorsque la contradiction entre les mots et l’être ainsi écrasée devient insupportable, comme le montre brillamment Sartre, bien placé pour le savoir?!??
Voici une circonstance particulièrement parlante, si j’ose dire?: telle patiente, prise de toujours dans cette structure de la vérité des mots, alors qu’elle allait mieux après un long travail psychothérapique de réappropriation de son désir, se remet à délirer après avoir «?accepté?» une invitation de sa famille à simplement prendre le café dans un we de larges rencontres dont elle était par ailleurs largement exclue.?
Lorsque manque la néantisation des mots et des désirs, les deux domaines de l’imaginaire et du symbolique ne sont plus séparés, et de leur confusion naît la pathologie, voici en résumé la thèse convaincante de Sartre.??Nous y ajoutons que l’image du corps en devient trop étrangère au sujet de ce fait.
Mais, comme chez Alain, et d’ailleurs tous les philosophes non structuralistes, l’articulation complexe et productive entre ces deux domaines est remplacée par une domination quasi absolue de la volonté consciente sur l’imaginaire40. Sartre repoussa constamment un ouvrage sur l’esthétique et ne parvint jamais, de fait, à ce qui était, selon ses dires, son but ultime… Et pour cause?: ç’aurait été une étude de l’inconscient, ce poids précieux de l’autre au cœur de nous-même, précisément néantisé par Sartre en même temps que son père.
Le dialogue entre structuralistes et naturalistes, où la revanche de l’imaginaire et de l’inconscient.?Castoriadis et Lacan, Lévi-Strauss et Descola?
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Michel de Certeau écrivait38 que la révolte de 1968 était une lame de fond dont la visée essentielle était d’en finir avec le structuralisme. Ce qu’avait bien cerné Lacan, qui après quelques hésitations, décida finalement qu’il ne s’agissait que d’un moment de jouissance qui ne pouvait qu’appeler le maître contre lequel on se révoltait, ce à quoi d’ailleurs il réduisait le marxisme maoïste dans lequel s’échoua de fait finalement le mouvement39, lui donnant hélas raison sur ce point.?
C’est que le travail de ce psychanalyste, s’il incluait bien l’imaginaire dans son élaboration fondamentale du nœud borroméen, formé de l’entrelacs de celui-ci avec le réel et le symbolique, se situa cependant essentiellement autour de la structure du symbolique, comme en témoigne sa formule selon laquelle «?l’inconscient est structuré comme un langage?», qui n’est pas sans poser problème dans sa réduction à la portion congrue du symbolique.?
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Or, il me semble que c’est Michel de Certeau qui était dans le vrai. Il s’agissait bien d’une gigantesque prise de parole fort imaginative, à toutes les échelles de la société, dans tous ses champs. Mon souvenir aiguë de ces moments, que j’ai vécu de près puisque j’étais à 17 ans en terminale à Paris, m’amène à séparer deux moments très différents?: le premier, inouï pour la plupart, et de beaucoup à mon sens le plus important, fut bien cette prise de parole qui s’étendît comme la foudre à la France entière. Cela se mit à discuter, échanger, dialoguer partout, dans les universités, les Lycées, les entreprises, et dans la rue aussi?! Et surtout, ce fut pour ma part, mais sans doute pas seulement, l’ouverture de la possibilité de se parler à table avec les parents?! Pour résumer, un dialogue généralisé prenait la place des structures lourdes, verticales et surtout non discutables qui faisaient la France à cette époque. D’ailleurs, le ministère de l’information, contrôlant de près tous les médias, disparu dans cette année-là?! La verticalité de la parole fut bousculée par ce dialogue généralisé.?
Vint ensuite le second temps, beaucoup moins intéressant, de récupération politique de ce séisme social, celui qui fut prédit par Lacan, qui au reste ne s’intéressa pas du tout à cette première période de dialogue joyeux, libre et imprévisible. Je me souviens très précisément de la tristesse de la plupart des étudiants qui m’entouraient au spectacle de ces «?professionnels?» de la politique qui s’infiltraient dans toutes les assemblées générales pour figer, restructurer, marxiser si j’ose dire ces énergies trop libres pour eux du dialogue impromptu généralisé?!?
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Avoir été au cœur de cette alternance conflictuelle entre structure organisante et dialogue imaginatif, dans ces années-là, n’est sans doute pas étranger aux développements qui font le cœur de mon travail…?
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