Le rapport de l’imagination à la réalité?: les philosophies (Alain et Sartre) et anthropologies (Castoriadis et Descola) essentialistes et post structuralistes.? 

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Pour aborder cet autre plan, suivons Alain34 qui résume assez bien les positions de la philosophie classique, non structuraliste, à ce sujet. ?? 

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En définissant l’imagination comme une perception fausse, on met l’accent sur ce qui importe peut-être le plus. Car on serait tenté de considérer l’imagination comme un jeu intérieur, et de la pensée avec elle-même, jeu libre et sans objet réel. Ainsi on laisserait échapper ce qui importe le plus, à savoir le rapport de l’imagination aux états et aux mouvements de notre corps. Le pouvoir d’imaginer doit être considéré dans la perception d’abord, lorsque, d’après des données nettement saisies, nous nous risquons à deviner beaucoup. Et il est assez clair que la perception ne se distingue alors de l’imagination que par une liaison de toutes nos expériences, et une vérification à chaque instant de toutes nos anticipations. Mais, dans la perception la plus rigoureuse, l’imagination circule toujours?; à chaque instant elle se montre et elle est éliminée, par une enquête prompte, par un petit changement de l’observateur, par un jugement ferme enfin. Le prix de ce jugement ferme qui exorcise apparaît surtout dans le jeu des passions, par exemple la nuit, quand la peur nous guette. Et même, dans le grand jour, les dieux courent d’arbre en arbre. Cela se comprend bien?; nous sommes si lestes à juger, et sur de si faibles indices, que notre perception vraie est une lutte continuelle contre des erreurs voltigeantes. On voit qu’il ne faut pas chercher bien loin la source de nos rêveries.? 

Mais il arrive souvent aussi que ce sont les organes de nos sens qui par eux-mêmes fournissent matière à nos inventions. Par eux-mêmes, entendons-le bien?; notre corps ne cesse jamais d’être modifié de mille manières par les causes extérieures?; mais il faut bien remarquer aussi que l’état de nos organes et les mouvements mêmes de la vie fournissent des impressions faibles, assez frappantes dans le silence des autres. C’est ainsi que le sang fiévreux bourdonne dans les oreilles, que la bouche sent une amertume, que des frissons et des fourmillements courent sur notre peau. Il n’en faut pas plus pour que nous nous représentions des objets pendant un court instant?; et c’est proprement ce que l’on appelle rêver.? 

Enfin souvent nous cherchons ou plutôt nous forgeons des images, par nos mouvements.  

 

Et dans tout fait d’imagination on retrouvera toujours trois espèces de causes, le monde extérieur, l’état du corps, les mouvements. Toutefois il n’est pas mauvais de distinguer trois espèces d’imagination. D’abord l’imagination réglée, qui ne se trompe que par trop d’audace, mais toujours selon une méthode et sous le contrôle de l’expérience?; telles sont les réflexions d’un policier sur des empreintes ou sur un peu de poussière?; telle est l’erreur du chasseur qui tue son chien. L’autre imagination qui se détourne des choses et ferme les yeux, attentive surtout aux mouvements de la vie et aux faibles impressions qui en résultent, pourrait être appelée la fantaisie. Elle ne se mêle point aux choses, comme fait la réglée?; le réveil est brusque alors et total, au lieu que dans l’imagination réglée le réveil est de chaque instant. Enfin l’imagination passionnée se définirait surtout par les mouvements convulsifs et la vocifération.? 

 

Ce qui règle l’imagination est donc la vérification active du domaine inventé par la pensée.? 

Il faut pour cela régler son compte au domaine de l’essence, et donner tout son poids à celui de l’existence en tant qu’active sartrienne?»? 

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Au fond, l’imagination, qu’elle s’origine de l’extérieur ou de l’intérieur de soi, vient dérégler la raison pour Alain, comme pour Descartes d’ailleurs, mais avec cette idée fort importante qu’il partage avec Sartre?: c’est l’action volontaire qui détermine ce qui s’accepte ou de refuse de cette imagination.?? 

Ceci rejoint l’origine probable de la structure délirante, à savoir l’interdit de vérification active par le sujet de la cohérence profonde des perceptions qui sont proposées par son entourage, y compris et même surtout verbales, comme dans l’injonction contradictoire du double lien découvert par Bateson.  

De ce fait, la discrimination entre les productions internes et externes, qui n’est possible que par l’active vérification de cette distance, disparaissant, le délire devient possible, l’imagination poursuivant sans limite son développement dès lors autonome…? 

Le corrélât en est, ce sur quoi nous reviendrons, que corps réel ne se situant pas authentiquement dans les échanges verbaux, le corps imaginaire, qui est le résultat de ces derniers, va être altéré.?Enfin, on comprend alors avec beaucoup de clarté que le délire est toujours d’origine externe, ce pourquoi les recherche sur la cause biologique interne échouent constamment?! Le délire est le propre de l’homme et effet de langage. 

Plus précisément, lorsque les mots qui définissent le sujet n’ont pas de rapport avec lui, ils dessinent les contours du délire. Pas de symbolique sans support imaginaire, même délirant, nous reviendrons sur cette notion fondamentale. 

 

Cependant, on entend bien que dans cette approche d’Alain, qui s’apparente à une hygiène de vie au fond, puisqu’il suffit d’être actif pour être en bonne santé physique et psychique, la notion d’inconscient est absente. La normativité, ici volontariste, reste inhérente à la tentative de ce philosophe, et de ce fait peu adaptée à notre clinique. 

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Mais il est un autre plan qu'Alain n'aborde pas, qui est précisément celui qui nous intéresse le plus, à savoir le rapport entre l'imaginaire et le symbolique. C'est Sartre, l’existentialiste, qui va s'approcher au plus près de notre question.?? 

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Sartre et l’imaginaire? 

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Nous venons de le voir, Alain rejoint la proposition de Sartre sur la pathologie de l’imaginaire, sur le délire?: prendre pour immédiatement vrai, c’est-à-dire sans distance ni vérification, ce qui est représentation du monde, thèse qui est un lointain écho de la caverne socratique. Il faut bien annuler la valeur des ombres qui nous apparaissent pour chercher la réalité derrière les images.? 

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En effet, pour Sartre, le statut effectif de l’imaginaire est lié à une double néantisation, d’abord celle du mot, qui est la disparition de la chose, puisqu’il n’est que sa mémoire (ce qui fait écho à la fonction symbolisante de la position dépressive liée à la perte de l’objet de M. Klein), puis dans l’appel de ce mot dans le désir, qui est la néantisation de l’action immédiate. Cette double néantisation est au cœur de la possibilité de la décision, de la liberté pour Sartre. Cette dernière consiste donc à se déprendre de la dictature de la passion immédiate, laquelle confond en un même plan perception et imaginaire, au profit de la volonté consciente, ce que Sartre appelle la liberté35.?Tout ceci est au final assez proche d’Alain. 

Pour qu'une conscience puisse imaginer il faut qu'elle échappe au monde par sa nature même, il faut qu'elle puisse tirer d'elle-même une position de recul par rapport au monde. En un mot il faut qu'elle soit libre.? 

Ainsi la thèse d'irréalité nous a livré la possibilité de négation comme sa condition, or, celle-ci n'est possible que par la « néantisation » du monde comme totalité et cette néantisation s'est révélée à nous comme étant l'envers de la liberté même de la conscience. Mais ici plusieurs remarques s'imposent : tout d'abord il faut considérer que l'acte de poser le monde comme totalité synthétique et l'acte de « prendre du recul » par rapport au monde ne sont qu'un seul et même acte. Si nous pouvons user d'une comparaison, c'est précisément en se mettant à distance convenable par rapport à son tableau que le peintre impressionniste dégagera l'ensemble « forêt » ou « nymphéas » de la multitude des petites touches qu'il a portées sur la toile. Mais, réciproquement, la possibilité de constituer un ensemble est donnée comme la structure premi&




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